La sensation d’irréel passée laissa vite place à cette lassitude qui ne semblait plus le quitter depuis des ans. Capturer un jeune Pokémon était loin d’être un exploit, qui n’avait même pas abouti à un combat, et personne ne le féliciterait – peut-être Toshio, mais il n’était encore qu’un enfant, avec toutes les qualités que ça impliquait, et il serait trop embarrassé de quêter la reconnaissance de son cadet – pour ce qui était devenu, pour tant d’autres Dresseurs d’Ankora, une banalité. Il ne s’y attendait pas spécialement, après tout, ce n’était qu’à Rhode que le statut de Dresseur était une luxure ; mais, même là, la personne qui l’avait motivée sur le chemin n’était plus là pour en être témoin. Cette pensée, ce deuil inachevé dont il porterait toujours les marques, l’avait un instant saisi d’une mélancolie si étrangère à ses souvenirs de sa communauté natale.
D’après Jake Megu, le maître des fées, c’était comme ça que ça se faisait : le pachyderme avait dû simplement se sentir en confiance auprès de lui, et inversement. Il n’avait pas vraiment compris, sur le moment, cette impression familière dans ses tripes ; et même après cette exploration officieuse avec Naralyn, les choses ne s’étaient éclaircies que plus tard. Il avait tenté d’entraîner le Phanpy pendant plusieurs jours, contre Pià ; la Nanméouïe, un peu jalouse de l’attention nouvelle que son Dresseur portait à son nouveau partenaire, une attention dont elle n’avait que rarement eue la faveur, avait redoublé de démonstrations de force. Mais le Pokémon, en plus d’être jeune et faible, ne répondait qu’à moitié aux ordres et se laissait facilement distraire par un Chant Canon. Il avait alors compris, et même la nature profonde de Pià se laissa finalement attendrir. Mais il fallait qu’ils en soit sûrs.
C’est comme ça qu’il s’était retrouvé au Refuge des Primeterres.
A l’intérieur du Refuge, il se saisit de la clochette pour appeler la Ranger. Il en profita pour sortir le Phanpy de sa Poké Ball sur le comptoir à sa hauteur. Le petit pachyderme secoua la tête, scannant nerveusement du bout de son long nez ces environs inconnus, avant de retrouver pour repère la main de son Dresseur. Si l’idée coupable de le confier à un Dresseur plus expérimenté lui avait bien effleuré l’esprit, elle était vite partie, rien qu’en voyant les Pokémon dans l’enclos extérieur. Ce serait un aveu d’échec, et après tous les efforts qu’il avait fait pour dépasser son aversion initiale des Pokémon, il n’avait pas l’intention de laisser tomber ; et surtout, trahir la confiance, pas tant celle de son éléphanteau que celle du maître des fées.
Arriva de l’arrière du bâtiment une jeune femme au style peu remarquable qu’il reconnut pourtant : Gaëlle Davies. Il ne la connaissait pas personnellement, mais il avait gardé son nom et son visage dans un coin de sa tête de la soirée du Lougaroc. Il aurait pu d’aller se diriger dans n’importe quelle Pension, supposait-il, mais sans la connaître la propriétaire du Refuge elle avait un atout dont les autres Éleveurs du secteur ne pouvaient pas se targuer : c’était l’amie de Valor. Et puisque Valor lui faisait confiance, il lui accordait sa compétence. Comme à son habitude, il ne se perdit donc pas en préambules : « Je viens de capturer ce Phanpy. Je crois qu’il est d’un côté sourd. » Il tapota doucement sous son oreille. Le Pokémon réagit à peine, plus affairé à effleurer de ses narines l’humaine. Difficile de savoir s’il lui manquait un œil, aussi, ou si c’était juste la paresse propre à l’espèce de l’éléphanteau. « Je sais pas trop comment l’entraîner.
Je descendais de l’étage ou je m’occupais de la paperasse liée aux adoptions et dons en attentes lorsque la clochette avait sonné au niveau de l’accueil. En ouvrant la porte qui faisait le lien entre les escaliers et la salle d’accueil, je tombais face à un Phanpy et un homme qui attendait silencieusement derrière, le visage inexpressif. Je me souvenais de lui ! Nous nous étions rencontrés quelques jours plus tôt au Lougaroc ! C’était… le loup que nous avions laissés seuls Soren et moi après nous être fait très rapidement éliminé par Valor… Cette partie fu si courte, c’était un peu triste ! Mais par contre... quel était son nom...? Mince... Impossible de me souvenir... Quelle poisse, j'avais du l'entendre qu'une ou deux fois et cela m'avais échappé... J’allais lui demander ce que je pouvais faire pour lui mais celui-ci me devança.
« Je viens de capturer ce Phanpy. Je crois qu’il est d’un côté sourd. »
Je regardais le dresseur tapoter l’oreille de son Pokémon, ne sachant pas vraiment ce qu’il attendait de moi. Est-ce qu’il était venu pour confier son Pokémon au Refuge… ou pour trouver un camarade à ce brave Pokémon… ? Comment…
« Je sais pas trop comment l’entraîner… Il lui faut un surnom, aussi. »
Oh, alors ce n’étais pas pour un don ! Une chose est sure, cet homme n’allait pas par quatre chemins pour dire le fond sa pensée, c’était assez… déroutant. C’était la première fois que quelqu’un venait au Refuge simplement en quête de conseil pour l’élevage de son Pokémon. Sur le coup, je ne savais pas comment réagir, qu’est ce qui avait fait que ce dresseur avait pensé à moi plutôt qu’a un des éleveurs qui avaient créés construits leurs pensions ? Il y en avait tellement aux quatre coins de l’île, tous plus talentueux pour l’élevage les uns que les autres… Je me sentais… flattée, vraiment, et en même temps incroyablement gênée. Je commençais à sentir la chaleur monter à mes joues et je décidais rapidement de me reconcentrer sur ce qui l’amenais ici, et de faire de mon mieux pour ne pas le décevoir.
« Euh… eh bien… oui ! Aucun problème, je… je n’ai pas forcément le matériel qu’on peut trouver en centre Pokémon ou… à l’hôpital mais… je peux l’examiner ! »
Mon attention se portait donc sur le petit pachyderme qui attendais sagement sur le comptoir de l’accueil. Je me rapprochais pour lui faire face, et approchait ma main de sa trompe pour le laisser me sentir et ne pas l’effrayer. Une fois le premier contact établis, je passais ma main sur le côté de sa joue puis lui rendis une caresse sur le sommet de la tête. Il était vraiment adorable !
« On peux aller dans les jardins si ça ne te dérange pas ! Ce sera plus simple à la lumière du jour ! »
Je les menais un peu plus loin dans le jardin, là une large pierre faisait office de promontoire et me permettrait de faire monter le Phanpy pour qu’il soit à ma hauteur et éclairé par la lumière naturelle qui baignait les jardins à cette heure de la journée. Je commençais par lui demander de pencher un peu la tête, et je relevais sa petite oreille pour voir ce qu’il se passait dedans. Il était difficile de faire un examen approfondi dans l’instrument fait pour mais je pouvais tout de même noter si quelque chose sortait de l’ordinaire d’un simple coup d’œil. Vraisemblablement, cela n’était pas le cas !
« Alors… n’ai pas peur, je vais faire quelques mouvements tout autours de toi, simplement pour voir tes réactions, je ne ferrais rien de dangereux ou d’effrayant ! »
Je restais tout de même concentrée sur l’état d’esprit du Pokémon, je ne voulais surtout pas le braquer en lui faisant peur, même un peu. Je commençais à tourner autour de lui, claquant mes doigts d’abord à sa droite, puis à sa gauche pour voir si je voyais un réflexe de recul, ou de fermeture des yeux pour les deux côtés. Pendant que je faisais cela, je commençais à réfléchir à la question du dresseur pour ce qui était du dressage de cet adorable pachyderme.
« Ce sont des Pokémons incroyables. Ils n’en n’ont peut-être pas l’air, mais ce sont des créatures vraiment très puissante et… elles ne s’en rendent pas toujours totalement compte. Ce Phanpy pourrait te faire très mal s’il ne prend pas conscience de sa force, je pense que cela doit donc être une priorité dans son entrainement ! Surtout s’il a réellement un problème à l’oreille, il va devoir redoubler d’efforts et d’attention, pour faire attention à son entourage. »
J’étais contente que le dresseur m’avait amené un Phanpy. C’était une espèce qu’on retrouvais très couramment à Johto et avec lesquels j’étais plutôt familière. Et… je savais également qu’un Phanpy qui nous aimais un peu trop était parfois un peu trop… brut, dans son amour ! Mon poigner et mes tibias s’en souviennent encore…
« Pour ce qui est du reste, cela dépend de ce que tu as envie de partager avec ce Phanpy ! L’entrainement peut être très différent suivant si tu le prédestine plutôt au combat Pokémon, ou sa puissance pourra être un atout de taille face à ses adversaires, ou bien plutôt aux concours, ou il devra contenir cette puissance pour la raffiner en quelques chose de moins… brut ! Je ne m’y connais pas du tout dans l’une ou l’autre de ses disciplines alors… difficile de te conseiller… mais si aucune des deux ne t’intéresse, alors je pourrais t’apporter mon aide pour simplement apprendre à… connaitre ton Pokémon et l’accompagner dans sa croissance ! Que souhaite-tu faire ? »
Gaëlle était un bout de femme insoupçonnable. Malgré sa jeunesse, à peine sortie de l’adolescence à en croire son gabarit de poche, ses bégaiements gênés et ses joues renflées comme une baie Tamato, en bref une demoiselle à l’apparence des plus ordinaires ; elle lui montrait là toute sa compétence en matière d’élevage. Il n’en avait pas douté. Sans doute, si ça n’avait pas été pour une incroyable série de coïncidences, à ce jeu de Lougaroc elle n’aurait jamais été suspectée, tant elle rayonnait en parlant ; pas étonnant – et le constat si banal parvint à lui tordre un nœud dans la gorge, par une jalousie oubliée que la Ranger ne méritait pas – qu’elle et Valor soient amis.
Vici s’en fit l’idée en l’écoutant et en la regardant faire, placide, bien qu’il ne put s’empêcher de trahir son interrogation d’un mouvement de tête lorsqu’elle parla du centre Pokémon. Il n’avait pas vraiment réfléchi au fait que la source de cette surdité puisse être importante, si elle ne pouvait pas être réparée – et il n’y comptait pas trop. Le Phanpy tendit sa trompe, effleurant les doigts tendus puis le poignet de l’humaine, reconnaissant ainsi qu’elle n’était pas une menace. En fait, elle était même plutôt douce, et il ne put s’empêcher de frémir de plaisir, battant de ses larges oreilles, quand elle vint lui toucher le sommet du crâne. S’il avait su, en plus, qu’elle le trouvait adorable ! L’éléphanteau se serait envolé d’orgueil.
Ils suivirent donc Gaëlle dans le jardin de son Refuge pour un examen plus approfondi. Il y avait là quelques Pokémon qui avaient donc été donnés à la Ranger. Il se demanda un instant, quand même, qu’est-ce qui les empêchait de partir, de retourner à la vie sauvage. Des Pokémon qui étaient nés captifs, comme Pià, et abandonnés par caprice, parce que la nouveauté leur paraissait plus attrayante ; ou des Pokémon qui étaient restés si longtemps en compagnie d’un être humain qu’ils en avaient oublié ce que ça faisait, d’être libre ? … En voilà un jugement éclairé. Il ne faudrait pas qu’il s’y habitue.
Le Phanpy se hissa sur la pierre comme sur un podium et se laissa docilement faire lorsque la Dresseuse vint lui examiner le tympan. Son Dresseur se rapprocha avec une moue curieuse. Ce dernier avait quelque chose qu’il n’aurait jamais considéré comme un talent : il parlait lentement, et c’était ainsi plus facile de déchiffrer les sons qu’il aurait à s’approprier pour devenir un bon Pokémon au combat. « … Quelque chose ? » Puis elle commença à … Lui papillonner autour ? Quel drôle de numéro ! Il aurait été facile de tricher, en apercevant de la périphérie de l’œil ses mouvements de bras de gauche à droite, mais il se plia docilement à l’exercice. Jusqu’à ce qu’un bruit comme un claquement de bec le fasse sursauter, juste à droite. Il terra sa tête contre son oreille. Trahison ! Disgrâce !
Dur de croire que ce petit éléphanteau, grand trouillard, pouvait être aussi puissant que Gaëlle le prétendait, mais lorsque la Ranger s’exprima, il hocha malgré tout la tête avec la courtoisie attendue. « J’comprends. » Il aurait été bien mal placé pour dire qu’un Pokémon en aurait été complètement incapable, même par accident. Et puis, il y avait Pià pour l’aider, quoiqu’elle y mettait sans doute beaucoup plus de sévérité que c’était nécessaire ; la Nanméouïe savait très bien ce que leur Dresseur attendait pour mériter cette attention particulière que le Phanpy n’avait certainement pas gagné de manière honnête comme elle. Vici ne s’était pas attendu non plus à devoir gérer les personnalités au sein de sa propre équipe. On apprend encore.
Lorsqu’elle lui demanda à quoi l’entraînement du Pokémon était destiné, il affirma sans détour : « Je veux être Dresseur. » Avait-il la gueule d’une personne qui s’intéressait aux concours de beauté ? Franchement ? Il en connaissait un qui se serait étranglé à cette seule pensée. Mais la question eut le mérite de le faire réfléchir. S’il se révélait, à l’examen de Gaëlle, que la surdité du Phanpy n’était pas quelque chose qu’il pouvait soigner, et que ce handicap le rendait tout à fait incapable de combattre ? Il étouffa sèchement le soupçon de doute qui essayait de poindre à la surface de son esprit. Il ne l’abandonnerait pas, c’était son petit joyau dans la boutique, son petit caprice de Dresseur à lui. « … Pour ça, faut qu’il me fasse confiance, c’est ça ? Donc que j’le comprenne. »
Il détourna le regard. « T’as l’air de bien t’y connaître. » Il y avait un paquet de sentiments qui agitaient son cœur à ce constat : la jalousie, le malaise, le sentiment sans nom de mettre les pieds sur un terrain glissant et inopportun. Mais il avait besoin des conseils de la jeune femme, voilà tout ; autant la flatter, la caresser dans le sens du poil.
« Je veux être Dresseur. … Pour ça, faut qu’il me fasse confiance, c’est ça ? Donc que j’le comprenne. »
J’en déduisais donc que les combats l’intéressaient plus que les concours. Cela serait plus simple pour moi, l’art de la coordination était une discipline tellement particulière qu’il était difficile d’en parler de l’extérieur. En revanche, même sans me livrer à des combats, sauf pour ma défense en mission, j’avais eu l’occasion de côtoyer un grand nombre de dresseurs, il était donc plus facile de transposer !
« C’est ça l’idée oui ! Mais la confiance est un travail de patience, elle se gagne avec le temps et… il n’y a pas vraiment de secret pour cela. Essayer simplement de passer du temps ensemble ? Tu pourrais demander aussi à un proche un combat amical, pour apprendre à vous connaitre tous les deux ! »
Je trouvais ça admirable que ce dresseur fasse autant d’effort pour apprendre à comprendre et connaitre son Pokémon. Un tel investissement méritait vraiment tout l’admiration du monde, et j’étais fière qu’il ait pensé à moi pour l’aider à cela.
« Tu as l’air de bien t’y connaître. »
« Oh M-Merci je… je n’ai pas beaucoup de mérite, et je ne suis pas très doué pour le reste alors… j’essaie de me rendre utile dans un domaine que j’aime ! »
Une fois de plus, la chaleur me montait aux joues sous le compliment, et je me réfugiais derrière la barrière de mes cheveux pour cacher mon visage. Je continuais silencieusement mon examen. Le Phanpy semblait réagir des deux côtés, mais avec un léger temps de retard et avec beaucoup plus d’appréhension d’un côté que de l’autre… Une fois terminé, je le caressais longuement le sommet de la tête pour m’excuser du traitement que je venais de lui faire subir. Même si c’était indolore, ce n’était jamais très agréable…
« J’ai… bien l’impression que ce Phanpy a un manque de capacité auditive sur cette oreille mais… je ne vois pas de signe d’infections, le conduit n’est pas non plus bouché jusqu’au tympan alors… je ne pourrais pas te donner l’explication exacte de cette surdité… Quoi qu’il en soit, il entend parfaitement bien de l’autre oreille, avec de très bon reflexes ! Ma théorie c’est qu’il s’agit d’une malformation qu’il a eu à la naissance, et qu’il s’est adapté pour pallier ce manque, en compensant sur d’autres sens ! Il a de trop bon reflexes pour que ce soit un traumatisme récent. Mais il faudrait une analyse des infirmiers du centre Pokémon pour en avoir le cœur net, ils ont le matériel pour savoir si ça vient de la transmission ou de la perception du son et… enfin ils en sauront plus que moi ! »
Mais… même si ma grande curiosité m’avait poussé à lire un grand nombre de livre sur les Pokémons et sur les maux qui pouvaient les frapper, je n’étais certainement pas médecin… il me manquait un bon nombre d’années d’études pour cela, et je ne pouvais que mettre en application ce que j’avais entendu, lis, appris avec l’expérience. J’étais bien plus formée à la gestion des urgences et des blessures physiques qu’à ce type de blessure plus interne… Mais même si je ne pouvais pas donner la cause exacte, je pouvais au moins l’aider à gérer cet handicape un maximum !
« Mais il n’y a aucune raison de s’inquiéter, ce Pokémon est parfaitement capable de combattre et de se défendre comme les autres ! Il faudra peut-être plus de patience que pour un Pokémon avec son plein potentiel mais je suis certaine que c’est faisable ! Vous pouvez essayer de travailler le placement de Phanpy en combat, de sorte qu’il ait toujours son oreille valide dirigé vers toi ? Ou alors vous pouvez travailler sur des ordres plus visuels ? Un peu comme le langage des signes chez les humains ! Ce ne sont que des pistes mais ce travail pourra contribuer aussi à vous rapprocher et vous faire confiance tous les deux ! »
Oh je parle beaucoup trop… C’était si rare mais… j’étais cette fois vraiment passionné par ce que je faisais et si ce dresseur avait eu le courage de venir me voir pour trouver de l’aider, je comptais bien faire mon maximum pour le guider dans le début de son aventure avec cet adorable Phanpy !
Il écouta les conseils de Gaëlle, presque religieusement. De temps à autre, un froncement de sourcils, un mouvement de lèvres comme un murmure volé trahissait son état d’esprit, mais c’était tout. Ce n’était pas qu’il ne la croyait pas – ça aurait été contre-productif, après avoir été celui qui l’avait cherché pour son expertise –, mais du temps, de la patience, il n’en avait que peu. Il avait déjà l’impression d’en avoir tant perdu de sa naissance, dans une région que certains qualifieraient, avec pudeur, d’ingrate ; en apprenant aujourd’hui ce qui semblaient pour les autres Dresseurs une évidence, un talent inné. Quant à demander à un proche un combat amical … Oui, c’était sans doute plus productif que de s’entraîner seul face à Pià, malgré toute la sévérité bienvenue de cette professeure possessive, mais qui pouvait-il considérer comme proche sur cette île ? Valor ne lui avait jamais fait part du moindre intérêt pour le combat, Jīnguó avait à demi-mot avoué son passé de grand Dresseur, et il ne s’infligerait pas la honte de perdre encore face à un de ses cadets en demandant à Toshio. Il n’y avait personne d’autre. Il n’allait pas refaire une Allan et s’en prendre à n’importe qui.
Le Phanpy, bien sûr, ne pouvait connaître les pensées de son Dresseur. Après cette petite frayeur, lentement mais sûrement, il reprit l’examen auprès de la Ranger. Le diagnostic ne l’intéressait pas tant – après tout, il était bien trop jeune pour seulement comprendre en quoi il avait été différent de sa matriarche, ou se souvenir d’une époque différente – que la caresse qu’il reçut pour sa docilité. Le voilà récompensé. Il glissa doucement sa trompe autour du poignet de la Ranger comme pour la guider, en demander encore.
Elle avait beau jouer les modestes, presque s’excuser de sa présence ; ce n’était pas le genre de diagnostic que n’importe quel amateur pouvait poser, et il lui faisait confiance. « Je vois. » Il s’en était douté, que ce défaut du Phanpy ne pouvait être soigné. Les infirmiers du centre lui rendront un diagnostic similaire, avec une indifférence à peine dissimulée, et il serait agacé par leur manque de considération, de reconnaissance pour ce Pokémon qui lui appartenait de servir – sans réaliser que c’était le ressenti de tous les Dresseurs qui passaient par cette étape.
Il fût cependant rassuré, et ne put retenir un soupir de soulagement, quand Gaëlle lui confirma qu’il n’était pas incapable de combattre pour autant. Cela demanderait un entraînement certes différent d’un Pokémon ordinaire – ça aurait pu être drôle : il s’était retrouvé comme premiers Pokémon avec un sourd, et une à l’audition naturellement sur-développée –, mais il n’avait pas toute cette expérience que d’autres Dresseurs avaient, il restait malléable. Pendant que la Ranger suggérait des idées, il se rapprocha de la droite de son Phanpy et, comme pour le tester, il tapa doucement dans ses mains. « … Comme ça ? » L’éléphanteau leva l’oreille avec une mine curieuse avant de tourner la tête vers son Dresseur, le reconnaissant d’un mouvement de trompe. En tout cas, il l’avait entendu, bien que le signe ne veuille rien dire pour lui pour l’instant.
« Je sais pas pour le reste, » Vici dit à Gaëlle sans la regarder, en répétant ses mots, « mais en Ranger, t’es douée. » Il était sincère en la complimentant sur ses connaissances ; il n’avait de toute façon jamais su mentir, un talent qui lui faisait défaut, même quand cette admission lui tordait l’intestin de sentiments cruels. Peut-être qu’ils pourraient aussi utiliser le Chant Canon particulièrement puissant de Pià. Et ils apprendraient plus tard à se servir de son sens tactile, beaucoup plus développé chez son espèce.
Il se redressa. « Parait qu’il faut donner un surnom à son Pokémon, » se rappela-t-il. C’était sa deuxième requête auprès de Gaëlle. Il n’avait jamais eu guère d’imagination pour ce genre de choses – ce qui devait être de famille, il aurait suffi de regarder son propre nom pour s’en persuader. Et combien de temps avait-il mis pour nommer Pià ? Un jour, une semaine ? Beaucoup trop longtemps, voilà la réponse. Il ne voulait pas passer autant de temps à juste l’appeler le Phanpy, quoique ça ne devait pas lui faire une grande différence, à l’éléphanteau sourd !
J’essayais d’étudier le visage du dresseur au fur et à mesure de mes paroles mais… rien ne semblait transparaitre sur son visage. C’était… assez déroutant. J’avais pris l’habitude d’étudier les expressions des personnes auxquels je parlais, pour prévoir leurs réactions, ce qu’ils pensaient mais… cet homme était incroyablement peu expressif. Qu’est ce qu’il pouvait bien penser ? Il était une véritable énigme à lui tout seul. J’espérais simplement que mon diagnostic approximatif ne l’avait pas attristé outre mesure… J’avais essayé d’être la plus rassurante possible mais entre que son Pokémon avait un handicap n’était jamais très agréable à entendre… Cependant je me détendais déjà lorsque le dresseur se pris au jeu et commença à tester des signes visuels et auditifs pour améliorer la communication avec son Pokémon.
« … Comme ça ? »
J’acquiesçais, contente que mon idée au plus au jeune homme. Enfin du moins semblais plaire, c’était tellement difficile de le déchiffrer ! Le Phanpy lui ne semblait pas encore très bien comprendre pourquoi ne claquions tous les deux des mains depuis tout à l’heure, mais il restait toujours incroyablement calme ! On sentait sa curiosité et c’était un très bon signe pour son entrainement pour les combats Pokémons !
« Je sais pas pour le reste, mais en Ranger, t’es douée. »
Je relevais la tête, étonnée d’entendre ces mots sortir de la bouche de cet homme qui ne disais pourtant que le strict minimum. Est-ce qu’il… le pensait vraiment ? Ou est ce qu’il disait ça simplement pour me faire plaisir ? Jusqu’ici il n’avait pourtant pas été très avare en parole et… je ne devrais pas douter… Immédiatement, je sentais à nouveau le sang affluer dans ma tête.
« M-Merci c’est… vraiment gentil, je… »
Je ne savais vraiment pas quoi dire. Il ne fait pas un peu chaud d’un coup là… ? Dire que moi je n’étais même pas capable de me souvenir de son prénom… Je suis terriblement impolie… Je m’emmêlais dans mes mots, incapable de décider si je devais lui retourner un compliment, si je devais… si je devais… il faut que je trouve un sujet de conversation, ce silence met extrêmement mal à l’aise et… Heureusement, c’est le dresseur qui rompit ce lourd silence avant que je ne m’enfonce un peu plus dans ma maladresse.
« Parait qu’il faut donner un surnom à son Pokémon, »
Je le regardais d’un air interrogateur, ne comprenant pas immédiatement ou il souhaitait en venir. J’attendais une suite à sa phrase, une question peut être, mais elle ne venait pas. J’en déduisais qu’il me demandait mon avis sur cette information ? Ou peut être qu’il voulait que je l’aide à trouver un surnom ? Maintenant que j’y pense il avait déjà évoqué la problématique du surnom lorsqu’il était arrivé !
« Oh… Eh bien… ce n’est pas forcément obligatoire, mais disons que… je pense que ça peut aider le lien entre le Pokémon et son dresseur à se renforcer. Donner un surnom à un Pokémon c’est un peu comme… le rendre un peu unique ! Le différencier des autres de son espèces ! Certains donnent des surnoms thématiques entre tous leurs Pokémons, d’autres… des surnoms qui les inspirent sur le moment, quelque chose en lien avec le caractère ou… avec votre rencontre »
En y réfléchissant, je me rendais compte que les surnoms de mes Pokémons ne correspondaient à aucune de ses catégories. J’avais été si aléatoires pendant mes choix, ils n’avaient aucune logique ! Il ne fallait pas que le dresseur se mette une pression inutile pour les surnoms, en pensant que c’était indispensable.
« Ou alors, il ne peut avoir aucune signification particulière ! Cela peut simplement être un nom, un mot, qui t’inspire quelque chose de positif ! »
Et voilà Gaëlle qui rougissait, enflait et s’enflammait, telle une pivoine incendiaire. Vici n’était pas sûr qu’un être humain devait être capable de porter de telles nuances de rouge sur ses joues, à moins d’être malade ; le genre de malade dont son père dirait, avec un désappointement sans feinte, qu’il serait préférable de les achever. Il n’allait évidemment pas suivre cet adage, mais il ne savait pas comment la soulager de cette crise d’embarras aigu. Il n’avait dit, dès lors, que ce qui lui semblait être la vérité : oui, la Ranger était douée, dans son Refuge des Primeterres, avait une telle aisance ; si ça n’avait pas été le cas, il n’aurait rien dit, tant ce sentiment de jalousie lui pesait. Ce n’était qu’un constat, et rien de plus.
Mais revenons-en au surnom. Après quelques secondes d’hésitation, Gaëlle ravalant sa couleur, il écouta donc les explications de la Ranger. Il n’ignorait pas qu’il n’était pas obligatoire de nommer un Pokémon, mais … Il n’avait encore rencontré personne sur Ankora qui ne passait pas par ce rite. Certes, à Rhode, l’Airmure de son père était resté sans surnom, sans qioh, ou du moins s’il en avait un, il ne l’avait-il jamais su ; mais vu la nature de ce Pokémon et de son propriétaire, ce n’était guère un exemple qu’il avait nécessairement envie de suivre. Il avait envie de dire que ce Pokémon était le sien, qu’il le possédait – une pensée qu’il garda cependant pour lui. Et puis, ça aurait été étrange de nommer Pià, et pas le pachyderme.
Ce qui lui faisait défaut, c’était l’idée, l’inspiration ; et ça, c’était quelque chose dont il avait toujours cruellement manqué. Il n’avait pas pensé à ses futurs autres Pokémon – il fallait dire que le scénario semblait à ce moment-là lointain, inaccessible, au rhodien inexpérimenté – lorsqu’il avait nommé la Nanméouïe, Pià, après plusieurs jours d’indécision. Et si l’intention était louable, il n’allait pas appeler le Phanpy Tombé du Terrier, quand même.
« Quelque chose de positif, » répéta-t-il lentement, en détachant chaque syllabe de ce dernier mot, regardant le pachyderme qui le regardait. C’était sans doute une bonne idée, mais il n’avait pas l’air d’en être dénué. Peut-être que dans ce qioh, ce nom, il lui faudrait plutôt un peu de force pour compenser sa nature peu favorable ; mais en même temps, ce n’était, et personne ne s’y serait trompé, qu’un bébé, et la Ranger l’avait prévenu qu’il en gagnerait largement en grandissant. Le Phanpy, sans savoir ce qui lui manquait vraiment, observait les deux humains tutoyant les cimes avec sa trompe levée, plein de curiosité. Est-ce que le jeu était fini ? Est-ce qu’il allait recevoir une autre caresse en récompense ? Dans le doute, mieux valait rester sage comme une image, comme la Nanméouïe matriarche le lui avait – même si, un peu durement – appris.
Bah ! Il n’avait vraiment pas d’imagination pour ce genre de trucs.
« … Ah ! » Il ne s’était pas rendu compte, dans ses pensées, qu’il avait laissé Gaëlle poireauter toute seule dans le silence. Vici n’était pas vraiment un gentleman. « … C’est plus compliqué qu’il y paraît, » commenta-t-il, la voix basse, en guise d’excuse.
Ça devait avoir l’air gênant, ce silence, pour un observateur extérieur, mais qu’on ne s’y trompe pas, Vici réfléchissait à ce nom ; ce n’était pas le genre de silence laissé place par une parole rare, inexercée, à laquelle on ne trouve rien à répondre pour ne pas lui faire peur. Il regardait le Phanpy sous toutes ses coutures, essayant de lui trouver quelque chose qui l’inspirerait … Mais à part qu’il était mignon – une qualité objective, à laquelle il n’était guère sensible –, au premier abord rien ne lui vint. Et l’éléphanteau continuait de le regarder, lui, la trompe dressée droite comme un I, tel un patrouilleur d’armée, attendant la fin du jeu. Ce silence ne le dérangeait naturellement pas, vu qu’il était sourd comme un pot …
« Dumbo ? »
Il n’était pas sûr que la voix ait émergée de la bouche de Gaëlle, ou d’un souvenir d’enfance oublié qui remontait à la surface, sans crier garde ; mais quand il se retourna vers la Ranger, celle-ci ne gardait que le même sourire conciliant, un peu rieur, qu’il lui jalousait sans la connaître. Et une seule chose s’imposa dans son esprit : ce devait être le nom de son Phanpy.
« … Ouais. Dumbo, » répéta-t-il, plus près pour que l’éléphanteau nouvellement baptisé puisse l’entendre. Dumbo se reconnut immédiatement dans ce nom, et lui lança un petit soufflement dans la figure. En ce qui le concernait, il était juste heureux de faire partie d’une harde, aussi petite soit-elle.