Lucian laissa échapper un râle en posant une énième cagette remplie de verres sur le bar de l'Event Horizon. Il prévoyait la grande ouverture dans un délai... Indéterminé, certes, mais à court terme, c'était certain. Et il avait encore du pain sur la planche. Si il avait terminé la grande majorité des travaux nécessaires à rendre son établissement salubre et capable de recevoir du public et avait entreposé des réserves d'alcools divers suffisantes pour assurer son premier mois d'exercice - à moins d'un succès inattendu de son troquet mais il ne fallait pas rêver. Restait à mettre en place le mobilier, les verres, un peu de décoration, et l'endroit allait finalement être prêt pour le grand jour. Il attrapa un verre au hasard dans la cagette et le tint à bout de bras entre lui et la grande fenêtre qui occupait la quasi-totalité d'un des murs de l'établissement et était actuellement la seule source de luminosité. Il soupira. Il avait récupéré ces verres d'occasion, alors il ne pouvait pas trop se plaindre, mais ils étaient tous au mieux poussiéreux, au pire carrément sales. Il allait donc tous devoir les laver. Un. Par. Un.

Un choc sourd attira son attention à ce moment là et il se retourna pour contempler l'énorme tonneau, anciennement utilisé pour vieillir du whisky, qu'il avait eu l'idée de reconvertir en table pour ses clients - ça donnait du cachet, et au moins il n'aurait pas besoin de perdre sa santé mentale en montant une de ces créations infernales de chez Okéo, le spécialiste du meuble en kit - qui avançait vers l'intérieur du bar en cognant contre les murs.

_ Héééé doucement avec ça ! C'est pas le moment d'abattre un mur hein !

Le tonneau avança un peu plus dans la pièce, lévitant à quelques centimètres du sol, et laissa finalement apparaître Castor et Pollux, qui faisaient honnêtement de leur mieux pour manoeuvrer cet objet à la fois plus grand et aussi lourd qu'eux. Lucian avait reçu une aide précieuse de ses Pokémon, qui avaient tous participé à leur manière à l'aménagement du bar.

_ Ok, posez moi ça par là bas, fit-il en désignant un coin de la pièce. Et prenez un moment pour vous reposer, on a déjà bien bossé pour aujourd'hui !

Le tonneau finit par se poser délicatement à l'endroit choisi, et Lucian se retourna vers la sono alors que Pollux se fendait d'une dernière pichenette de pouvoirs psychiques pour refermer la porte. Il avait de la vaisselle à faire, et la vaisselle, ça se faisait en musique. Il choisit un morceau typique de Galar, Greenbury Girl et sourit avec satisfaction lorsque les premiers accords de mandoline retentirent dans le bar. Il n'était pas le seul à apprécier le morceau car Albireo tournoyait joyeusement dans les airs et le petit Natu qui l'avait adopté et s'était perché sur une tireuse à bière se balançait en rythme d'avant en arrière. Il ouvrit le robinet et attrapa un torchon sous le bar, en se dandinant lui-même vaguement. La porte s'ouvrit alors qu'il avait les mains dans l'eau.

_ Désolé, on est pas encore ouverts ! lança-t-il sans même relever la tête.

The song:

“Oooh, vraiment ? Toujours pas ?” répondit Sibylle en passant malgré tout la porte de l’établissement et en faisant un signe de la main à Lucian. “Pourtant avec la musique et tout, on aurait pu croire !”

La jeune femme fit un petit pat sur le sommet du crâne d’Albireo, puis balança son poids d’une jambe à l’autre sans oser s’avancer plus. Elle n’avait pas spécialement prévu de venir dans un bar aujourd’hui, mais en passant dans le quartier, elle avait donc entendu l’air dansant et s’était souvenue du projet de son ami Jothoïte, the Event Horizon. Du coup, c’était l’occasion de venir voir de quoi il en retournait et de lui passer le bonjour… Mais finalement, elle débarquait en plein aménagement et n’osait pas s’imposer plus que ça.

Mais ça lui faisait quand même bizarre de juste dire “bon ben salut du coup” et de faire demi-tour. D’où son hésitation évidente.

“Hm… Tu veux de l’aide ?” proposa-t-elle faute d’une meilleure idée. “Je suis surtout passée dire bonjour à la base ; si je ne reste pas comme une cliente, c’est bon, non ?”

Il y avait de la musique chouette, des Pokémon enthousiastes, et à vrai dire elle avait du temps à perdre et envie de sociabiliser : ça méritait bien de participer à un peu de vaisselle ou de rangement, si Lucian acceptait qu’elle reste. En plus, le jeune homme avait apparemment acquis de nouveaux Pokémon depuis la dernière fois qu’ils avaient passé du temps ensemble, et le petit oiseau perché sur la tireuse à bière l’intringuait. Il était vraiment minuscule. Sibylle s’avança doucement pour l’observer.

“Qu’est-ce que c’est que cette boule de plumes choupinoute ? Un nouveau ? Il vient de l’espace, lui aussi ?”

Lucian releva la tête en reconnaissant la voix féminine qui s'adressait à lui et afficha un large sourire en posant les yeux sur son amie Kalosienne. Il s'essuya rapidement les mains, jeta le torchon sur son épaule et se tourna pour baisser la musique tandis qu'Albireo venait accueillir la nouvelle venue.

_ Sibylle ! s'exclama-t-il en ouvrant les bras. Entre, entre ! Et ne dis pas de sottises, les amis ne sont pas des clients ! Viens installe toi !

Il fit rapidement le tour du bar pour libérer un des tabourets de la caisse qui y était posée, et passa un coup rapide sur l'assise pour en faire partir la poussière avant d'inviter la jeune femme à s'asseoir.

_ Ca me fait super plaisir de te voir, ça faisait longtemps ! Comment tu trouves l'intérieur ? J'ai tenté l'esthétique "sombre troquet galarien", je trouve que je m'en suis pas trop mal sorti. Bon, sans l'odeur, soyons honnêtes mais c'est peut-être pas un mal, ajouta-t-il en éclatant de rire. Tu veux boire un truc ? Les tireuses à bière ne sont pas encore branchées, mais j'ai du bon whisky, un peu de rhum pour des cocktails... Et de la limonade, mais il va te falloir une ordonnance pour ça, fit-il d'un air comiquement sérieux, avant de lui faire un clin d'oeil.

Finalement, Sibylle tombait bien. Lucian ne s'en était pas vraiment rendu compte, mais il commençait à fatiguer avec tout ce temps passer à aménager son nouveau bar, et ce malgré l'aide précieuse apportée par ses Pokémon. Il essuya deux des verres qu'il venait de nettoyer, de manière à leur servir à tous les deux un petit rafraîchissement, pendant que la jeune femme s'intéressait au petit oiseau qu'il avait ramené de sa dernière excursion aux Ciméternelles.

_ C'est un Natu, on en trouve un peu à Johto. Je suis retourné aux Ciméternelles après notre... Malheureuse rencontre avec l'alpha...

Ca faisait toujours du bien de se souvenir d'un moment où il avait failli mourir. Et même si Sibylle s'en était mieux sortie que lui, elle n'avait probablement pas apprécié le moment non plus.

_ Enfin bref, j'y suis retourné pour une étude, avec Valor, un de mes colocataires, et d'autres gens. Et euh... Je crois qu'il a décidé qu'il allait venir avec moi, donc je l'ai pas empêché. Y a un truc qu'il aime bien faire, regarde.

Il attrapa la boule de plumes perchée sur la tireuse, qui laissa échapper un paillement joyeux et, faisant le tour du bar, le déposa sur le haut du crâne de son amie. Le Natu piailla à nouveau et s'installa confortablement dans les cheveux roux.

_ Tadam ! Tu es officiellement un petit nid à Natu, j'espère que cette pensée t'emplit de joie !

Lucian n’avait pas l’air dérangé par son arrivée. Au contraire, il avait l’air plutôt content ! Ca faisait plaisir à Sibylle d’être aussi bien accueillie. Elle attrapa la petite étoile volante entre ses mains pour lui gratter sa tête caillouteuse, et alla s’asseoir à l’endroit désigné par le barman. La jeune femme hocha la tête sans faire trop de commentaires quand il lui parla de ses projets d’agencement : il avait sans doute plein d’idées en tête et une visualisation précise de la chose, mais pour le moment, la Kalosienne trouvait surtout que ça ressemblait à un local en plein déménagement. Ca sentait la poussière, la lessive propre et la cire à bois. Mais elle reconnaissait que ça semblait prometteur ! Si ça ne devenait pas un endroit trop populaire et trop bondé - même si elle ne pouvait que le souhaiter, pour la réussite financière du propriétaire -, ça serait sans doute un endroit sympa où passer une soirée.

Lucian lui proposa à boire, et Sibylle hésita. Elle avait techniquement une ordonnance qu’elle aurait pu sortir pour justifier de ne pas boire d’alcool. Mais pas sur elle ; et elle n’était pas forcément sûre de vouloir étaler ses problèmes de santé aux yeux de tous comme ça. Et puis, même le médecin lui avait dit que sa dose lui permettait un petit excès de temps en temps, s’ils restaient rares… Elle décida donc de tester un peu les ressources du futur barman.

“Okay, alors… Est-ce que tu as de l’amaretto ?”

Bon, finalement, niveau test ça n’était pas si pire. Elle aurait pu sortir un nom de cocktail à coucher dehors, mais encore aurait-il fallu qu’elle les connaisse. La liqueur d’amande pure était bonne aussi.

Lucian présenta son nouveau partenaire, un oiseau de Johto, puis fit quelque chose de complètement inattendu : il attrapa le Pokémon et vint le poser sur la tête de Sibylle. Qu’était-ce à dire que ceci ? La créature poussa un petit piaillement de satisfaction, ce à quoi la jeune femme répondit par un éclat de rire et de surprise, qui fit légèrement sursauter Albireo qu’elle portait toujours.

“Petit nid de Natu et porteuse de Météno, je vais finir par faire payer mes services !” répondit-elle avec allégresse.

Le travail n’était pas très compliqué, en plus : le Natu sur son crâne était incroyablement léger, et le Météno continuait à voleter à moitié sans peser de tout son poids. D’ailleurs, l’étoile repartit de son côté, voletant à travers le bar et rejoignant ses partenaires spatiaux. Comme l’avait déjà dit Sibylle à Lucian lors de leur première rencontre, Séléroc, Solaroc et Météno semblaient vraiment faire partie d’une même famille.

“Du coup ! Quoi de neuf ? Enfin à part la partie évidente”, ajouta-t-elle en balayant la pièce du regard. Le Natu sur sa tête roucoula de surprise quand elle la tourna, ce qui rappela à la jeune femme de ralentir son mouvement pour ne pas l'éjecter. “Tu prévois d’ouvrir quand ?”

Lucian haussa un sourcil étonné lorsque son amie passa sa commande de boisson. Ce n'était... Pas vraiment le genre de spiritueux que l'on servait habituellement dans un pub, et lui-même n'en avait d'ailleurs jamais bu. Il se rappela que Sibylle venait de Kalos, et qu'on buvait de l'amaretto là-bas, au moins un peu dans le sud. Peut-être que ça lui rappelait la maison ?

_ Hmmm pas exactement ce à quoi je pensais mais j'en ai fait venir une bouteille pour faire des cocktails, attends un instant.

Il se retourna vers l'étagère déjà remplie de bouteilles qui se trouvait derrière lui et commença à fouiller. Il fit bien attention d'éloigner son petit oeuf rose, celui qui n'éclorait sans doute jamais mais, heh, il s'y était attaché depuis le temps. Il finit par trouver la bouteille de liquide ambrée, cachée derrière une rangée de bouteilles de whisky, et attrapa également un verre qu'il venait de laver. Il ouvrit la bouteille, approcha le goulot de son nez pour sentir la douce odeur d'amande, et, avec un hochement de tête satisfait, en servit une lampée. De son côté, Sibylle semblait assez satisfaite de pouvoir s'occuper des deux Pokémon qui accaparaient son attention.

_ Si tu portes Albireo je te préviens tu te fais avoir, il est cent pour cent capable de se porter tout seul, il essaye juste de t'amadouer là, blagua-t-il, provoquant un sifflement réprobateur de la part de l'aérolithe qui partit rejoindre Castor et Pollux pour la peine, provoquant un éclat de rire de la part du barman.

Alors qu'elle attendait son verre, Sibylle continuait à faire la conversation, posant les questions que tous les amis se posent après plusieurs semaines sans se voir.

_ Eh ben... Pour être honnête, le bar a occupé la majeure partie de mon temps depuis la dernière fois qu'on s'est vus ! Si j'avais su que c'était autant de travail j'aurais plutôt ouvert un stand de citronnade ! D'ailleurs tu sais que c'est un peu toi qui m'a décidé à me lancer dedans, après le soir où on s'est rencontrés la première fois ? Bon, ok, il m'a fallu un moment pour me décider mais quand même ! Et pour l'ouverture eh ben... J'espère ouvrir pendant l'été, les gens auront besoin de rafraîchissements, fit-il avec un clin d'oeil. Et toi, quoi de neuf ? Des projets en cours ?

Il s'aperçut qu'il tenait encore le verre d'amaretto dans sa main, absorbé par la discussion.

_ Oh tu veux peut-être ton verre en fait, s'excusa-t-il avec un rire gêné. Attends, on va faire mieux, je vais quand même te faire un petit cocktail, histoire de te donner envie de revenir.

Il alla chercher une baie citrus dans une cagette posée non loin, la coupa en deux et en pressa le jus directement dans le verre. Il se retourna ensuite à la recherche d'une bouteille de sirop de sucre et un drame arriva. Dans sa précipitation, il heurta l'oeuf qu'il avait pourtant écarté plus tôt pour éviter ça. Ce dernier roula sur l'étagère, tomba à terre, rebondit une fois par terre et... *CRAC*

_ MEEEEEEEEERDE !!!! s'écria le Rosalien.

Il se pencha aussitôt sur l'oeuf qui s'était écrasé à terre et était dans un triste état. Alors qu'il approchait une main tremblante pour ramasser les morceaux, la coquille bougea, et commença à se soulever...

Qui a allumé la lumière ? Est-ce que c’est déjà l’heure de se réveiller ? Ooh non, encore 5 minutes !  Que le temps passait vite lorsqu’on était confortablement installé dans un œuf chaud et douillet ! Heureusement, l’œuf était déjà fissuré de tous les côtés, cela serait beaucoup moins épuisant pour la petite créature qu’il refermait ! Doucement, le Pokémon s’éveilla après son long sommeil, ne comprenant pas ce qui venais de l’en tirer. Il secoua la tête pour se débarrasser des morceaux de coquilles qui étaient resté collées à lui, pour se retrouver nez a nez avec toi. Pour peu qu’il ait un nez d’ailleurs. Ses petites oreilles se décolla de son corps et sa petite houppette se déploya comme pour te dire bonjour. L’adorable créature rose se frotta les yeux pour chasser les dernière traces de fatigue avant de te regarder droit dans les yeux. Est-ce que c’était toi qui l’avais tiré de son profond sommeil ? Hmmm… heureusement, tu as une tête sympa ! Le Mélo courra vers toi pour rechercher la chaleur de celui qui avait pris soin de lui pendant tout ce temps. Lorsque tu le pris dans les bras, celui-ci se remis en forme de boule pour retrouver les mêmes sensations que lorsqu’il était un œuf !

“Oh non non non non !!” cria Sibylle en sautant de son tabouret, au moment où l’œuf s’écrasait au sol. Le mouvement fit peur au petit oiseau qu’elle avait toujours sur la tête, et il s’agrippa aux cheveux roux de la jeune femme qui grimaça, mais ne s’en rendit pas complètement compte, trop préoccupé par le reste de la scène. Ca n’était pas son œuf, mais elle partageait tout à fait le sentiment dramatique qui oppressait son propriétaire légitime. Il n’y avait pas de doute quand à l’état de la petite chose : des éclats de coquilles s’étaient répandus un peu partout au sol, et le contenu… Sans être étalé, il était bien aplati par terre, lui aussi. “C’est rattrapable, tu penses ?” murmura-t-elle à moitié, comme si elle n’osait pas prononcer des mots qu’elle savait stupides et terribles à voix haute.

Lucian ne lui répondit pas. La jeune femme pouvait voir qu’il tremblait, sous le choc. Elle voulait lui frotter l’épaule pour le soutenir mais n’osait pas, et ne savait pas quoi dire non plus. C’était tellement… Soudain. Une minute plus tôt, ils riaient de la farce d’Albireo. Trente secondes avant, elle s’apprêtait à siroter un cocktail, lequel avait fini par terre quand le barman l’avait lâché. Et maintenant…

Eh bien, maintenant… C’était dur à dire ? Le truc mou et rose qui était tombé par terre se remettait à bouger. Était-ce un spasme avant la fin ? Ca n’y ressemblait pas du tout. La chose s’ébroua et se releva, et sauta même dans les bras de Lucian avec un petit roucoulement content. Les jambes molles, Sibylle se laissa tomber les fesses par terre, avant d’énoncer l’évidence à voix haute. L'évidence, mais surtout l'improbable.

“Mais il va très bien, ce machin ?!”

Elle l’avait dit avec un ton plus agacé qu’elle n’aurait voulu, ou qu’une naissance ne méritait. En fait, la jeune femme se sentait extrêmement secouée, presque en colère, et les émotions positives avaient un peu du mal à se frayer un chemin au milieu du capharnaüm qu’était devenu sa tête. Un peu comme un parent qui a cru perdre son enfant se mettrait à lui crier dessus une fois le pot-aux-roses découvert, au lieu de ne ressentir que du soulagement. Sibylle retira les lunettes et se frotta les yeux qu’elle sentait piquants. Elle souffla profondément pour remettre ses idées au clair, et se releva en essayant de ne pas faire tomber son cavalier qui pioupioutait, perdu au milieu des cris et du mouvement.

“Je veux bien un verre d’eau, du coup, s’il te plaît", demanda-t-elle d’une voix un peu fatiguée. Puis elle sourit aussi sincèrement que possible au nouveau papa. “Félicitations ! Il démarre sur les chapeaux de roues, ce petit bout !”

Avec tout ça, elle avait oublié ce dont ils étaient en train de discuter, et ce qu’elle avait prévu de répondre. Hm… Une ouverture en été du bar, donc ? Honnêtement, ça n’avait pas d’importance : un bébé venait de naître et c’était beaucoup plus intéressant.

“C’est un… J’en ai vu à l’Observatoire mais j’ai oublié le nom. Mais du coup, c’est encore un truc de l’espace !”

Lorsque le petit Pokémon rose s'éveilla au milieu des débris de coquille d'oeuf, Lucian se laissa tomber sur les fesses. Il eut un petit rire nerveux alors que le nouveau-né lui sautait dans les bras, qui se transforma en fou-rire incontrôlable lorsque la réaction offusquée de Sibylle lui parvint aux oreilles. Il parvint à se calmer quelques instants, mais tourna la tête vers la jeune fille et, la voyant le cul par terre tout comme lui, éclata à nouveau de rire, tout en grattant doucement le ventre de la petite créature qui gloussait de plaisir. Son hilarité, en grande partie causée par le soulagement, lui faisait monter les larmes aux yeux, qu'il essuya d'un revers de manche.

Il finit par se calmer et laissa échapper un long soupir, tandis que Sibylle se relevait en gardant adroitement le Natu sur la tête. Il entreprit de faire pareil, ce qui n'était pas chose aisée avec un Pokémon dans les bras et une jambe inutile. Il réussit néanmoins à se hisser sur sa bonne jambe en s'aidant d'une porte de placard et de sa seule main libre. Il se redressa, encore un peu titubant après le choc et regarda avec tendresse la petite boule rose qui somnolait déjà, comme si elle n'avait pas pris le temps de le faire pendant plus d'un an et demi. Un sourire niais au lèvres, il secoua doucement la tête.

_ Ohlala, ça va pas de nous faire peur comme ça toi... Ca va aller Sibylle ? demanda-t-il en se tournant vers la Kalosienne. Je m'attendais pas à autant d'émotions d'un coup... Je pense que t'as raison, un verre d'eau ira très bien.

Il attrapa le verre d'alcool qui était resté posé sur le plan de travail, prit le temps de lui jeter un regard et le vida dans l'évier. Il attrapa ensuite deux grands verres étroits qui étaient en train d'être égouttés et les remplit directement au robinet. Il déposa les verre sur le comptoir et en fit le tour pour venir s'effondrer sur un tabouret de bar, à côté de Sibylle, et avala une grande gorgée d'eau fraîche, son nouveau Pokémon toujours niché au creux du bras.

_ Pfiou, je pensais pas qu'être parent était aussi fatigant. Je suis déjà épuisé hahaha ! C'est un Mélo, répondit-il à la question de son amie. Je savais pas qu'on en avait trouvé sur Ankora, de mémoire ils sont plutôt rares ! La légende dit qu'ils viennent de la Lune, mais c'est difficile de savoir dans quelle mesure c'est vrai ou non... Mais ouais, comme tu dis, encore un truc de l'espace ! Tu sais bien que c'est ma passion de toute façon !

Il vida son verre et soupira à nouveau.

_ Du coup je sais plus ce qu'on disait... Ah oui, et toi alors ? Des projets ? En dehors de dévaler des montagnes, des Pokémon en furie aux fesses, je veux dire, blagua-t-il avec un clin d'oeil. Au fait, fit-il avec un regard vers le Natu qui n'avait pas quitté son perchoir, il te dérange pas trop ? Faut pas hésiter à lui dire hein !

Sibylle était remontée sur son siège de bar, posée bien droite. Elle se sentait encore frissonnante d’émotion, et s’efforça de souffler doucement. Lucian était tout à sa joie d’être parent et semblait avoir relégué l’incident au second plan pour le moment. S’il y arrivait, elle pouvait le faire aussi ! En réalité, ça n’était pas très difficile. Il suffisait de regarder le Mélo, sa petite bouille molle et son sourire béat, et sa bonne humeur devenait vite contagieuse. Il fallut un peu de temps pour reprendre le fil de la conversation, mais les deux jeunes gens finirent par y revenir.

“Euh… Non, t’inquiète pas !” fit-elle d’abord, répondant à la partie la plus facile de la question, celle qui concernait le Natu. “Il a l’air de faire bien attention à ne pas me tirer les cheveux et il n’est pas très lourd, donc je peux le garder. Quant au reste, eh bien j’ai récemment ouvert ma boîte, moi aussi ! D’ailleurs c’est le moment parfait pour faire de la pub, ça pourra ptête te servir !”

Sibylle s’éclaircit la gorge, prête à faire sa présentation commerciale. Un service de taxi et un bar ! Il y avait probablement moyen de faire un partenariat ! Ou rien que pour les livraisons, d’ailleurs ! Elle s’en frottait les mains d’avance.

“Donc ! J’ai ouvert un service de livraison - slash - coursiers - slash - taxi utilisant majoritairement des montures volantes ; on est basé à Altaterra et on dessert l’entièreté de l’île accessible au public. On est encore un peu petit alors on a parfois des délais un peu long, mais on prévoit d’attraper et d’entraîner encore plus de Pokémon pour nous aider, et ensuite on installera des relais dans les villes pour être encore plus rapides. Et si jamais tu veux visiter les locaux, on a une super volière !”

La jeune entrepreneure finit son laïus avec son sourire commercial de rigueur, puis reprit une expression un peu plus naturelle et informelle, et but son verre d’eau. Ça donnait soif de parler autant d’un coup !

“Enfin voilà, je sais pas par qui tu passes pour te fournir pour le bar, mais on peut s’occuper des professionnels aussi. Quand j’aurai plein d’oiseaux en tout cas !”

Lucian écouta attentivement l'auto-promotion éhontée de son amie Kalosienne. Elle faisait vraiment ça comme une pro, on voyait que son discours avait été répété, poli, et encore répété après. En même temps, elle avit un projet pour le moins ambitieux. En tous cas bien plus qu'un simple pub, et c'était déjà un boulot monstrueux. Il imaginait déjà Sibylle à la tête d'un empire de l'import-export, dans son bureau au dernier étage d'un building, contemplant par la baie vitrée le fruit de son travail, un verre de spiritueux hors de prix à la main. Un costume sur mesure serait bien évidemment indispensable pour parfaire le tableau. Et un Miaouss. Ou mieux un Persian. En tous cas, c'était clairement un domaine dans lequel elle allait avoir du travail. Lorsqu'elle eux fini son petit speech, Lucian se mit à applaudir.

_ Excellente présentation Madame la Présidente Sibylle ! Avec ça les actionnaires seront contents !

Il éclata de rire avant de reprendre son sérieux, sans se départir de son sourire. La proposition de collaboration de la jeune femme était réellement intéressante.

_ Eh ben... Je me suis surtout débrouillé comme j'ai pu, j'ai bossé avec qui voulait bien bosser, mais je suis pas marié à un fournisseur. Et tant qu'à faire j'aimerais autant bosser avec quelqu'un qui est implanté ici... Et si ça peut en plus t'aider toi ce sera avec plaisir. Faudrait qu'on discute de tout ça plus sérieusement un peu plus tard, pour le moment je m'inquiète surtout d'être prêt pour la grande ouverture, mais ta proposition m'intéresse.

Elle avait aussi mentionné les Pokémon oiseaux... Hmmm... Lucian fixa Sibylle. Puis le Natu sur sa tête. Puis Sibylle. Puis le Natu. Puis Sibylle à nouveau. Puis, avec insistance, le Natu.

_ Dis, puisque tu emploies pas mal de Pokémon oiseaux et que tu es manifestement un parfait petit nid à Natu... Ca te dirait de l'emmener avec toi ? Il sera mieux dans ta volière qu'enfermé ici dans le pub... Et je pense qu'il trouvera la compagnie d'autres oiseaux plus agréable. Je sais pas ce que tu en penses ?

Sibylle leva les yeux vers le plafond, comme si, en tirant assez fort, elle allait pouvoir observer le Natu posé sur sa tête. Elle était curieuse de voir sa réaction suite à la proposition de Lucian, pendant qu’elle-même faisait de l’introspection sur le sujet. Elle n’avait rien contre un oiseau mignon en plus, mais ça soulevait pas mal de questions, comme toujours ! Avait-elle assez de temps pour s’en occuper ? Pourrait-il se rendre utile dans son équipe, vu comme il était minuscule ? Il pourrait tout au plus porter dix lettres à la fois. Est-ce que ça se faisait, d’accepter ce genre de cadeau de la part de son ami barman ? Mais finalement, l’interrogation la plus importante restait : est-ce que le Pokémon en avait envie ?

“Je… peux”, répondit-elle sans trop se mouiller. “Je ne veux pas donner l’impression de te dépouiller d’un partenaire ou de dépouiller un Pokémon de son dresseur, maintenant qu’il a dû s’habituer un peu à la vie avec un humain, c’est tout.”

Whouah… Ça ne sentait pas la motivation et l’enthousiasme sans borne, ce discours ! D’un autre côté, réfléchir sérieusement au sujet plutôt que de sauter sur des occasions prouvait qu’elle prenait la proposition au sérieux. Délicatement, elle attrapa l’oiseau, à moitié emmêlé dans ses cheveux, et le prit au creux de ses mains pour l’observer. Elle pencha la tête ; il répondit en l’imitant. La jeune femme avait sans doute l’air plus perplexe que le Pokémon, qui semblait plutôt satisfait de son sort.

“T’en dis quoi, toi ? Tu veux vivre avec tout un tas d’oiseaux et m’aider à porter des trucs un peu partout sur l’île ?”

Le Natu pépia en se dandinant. De son côté, ça n’avait pas l’air de le déranger beaucoup. Sibylle leva les yeux vers Lucian.

“T’es sûr que ça t’embête pas, hein ? Parce que si tu changes d’avis, ça sera le mien, et ça sera trop tard ! Non je rigole, si tu changes d’avis je te le rends, pas de problème.”

Mais Lucian avait l’air sérieux dans son offre. Sibylle en rosit de fierté. Elle appréciait qu’on prenne son expertise au sérieux, même si elle était relativement récente. Avec plaisir, elle frotta le bout de son nez sur le front emplumé du minuscule oiseau, et le remit sur sa tête, avant de remonter ses manches.

"Bon, maintenant que ça, c'est fait, il est temps que je paye ma part de l'échange. Je vais t'aider à ranger tes trucs, si si si, j'insiste. Dis moi où va quoi et j'installe ça en deux temps, trois mouvements !"