J’avais été étonnée du savoir-faire d’Ewilan avec les Pokémons. Non seulement elle avait su comprendre les besoins d’un Pokémon d’un coup d’œil, mais elle connaissait aussi des astuces pour attirer et interagir avec Pokémons sauvages. La moitié de mes Pokémons m’avait été donnée, qu’il s’agisse d’œufs ou non. J’étais bien loin d’avoir son savoir-faire avec la faune. Je m’en sortais mieux avec la flore… et les restaurants. Le trajet du retour s’était rapidement passé, avec le crépuscule dans le fond qui offrait un spectacle plaisant pour les yeux.
« On va se trouver un restaurant pour une soirée mémorable ! »
Je trottinai devant Ewilan, excitée à cette idée. Je scrutai les ambiances de chaque restaurant, m’approchai des cartes quand elles me plaisaient… mais j’étais exigeante. Je voulais la soirée parfaite. Après quelques minutes de marches dans les rues, peut-être une vingtaine, je repérai la perle rare : une terrasse en hauteur qui, au lieu de donner sur le beau centre-ville, avait une vue sur les Etendues Vertes.
« Là ! C’est parfait ! Et pas si cher, regarde la carte. On y va ? Il est encore tôt, on devrait avoir une table ! »
Je partis aussitôt interpeler un serveur afin de réserver deux places à l’étage. Les plats servis ici étaient basiques, et convenaient à tout un chacun, mais c’était surtout la vue qui attirait la clientèle. En passant, je pus voir que les plats, bien que simples, étaient servis avec une jolie présentation. Aussi jolie que ce décor, d’ailleurs : les murs rouges, les meubles en bois vernis, les chaises en fer… Avec les quelques plantes exotiques entretenues dans les pots, cela avait tout du style colonial. L’ambiance était parfaite : chaleureuse, élaborée, et bientôt goûtue !
- Ahah, je te fais confiance pour choisir quelque chose de bon.
Blueuenn semblait plus à l'aise et confiante qu'en début de journée. C'était très bien tout ça et Ewilan était plutôt contente de ça. La Awlyre lui était après tout très sympathique et elle n'avait qu'une envie : c'était de passer une bonne soirée en sa compagnie. Suivant donc de près sa comparse, Ewilan observait le choix de sa nouvelle amie : un restaurant avec un étage et une terrasse. Hum, plutôt pas mal.
- Oui, tu as raison, ça a l'air sympa. Et l'argent n'est pas un problème, en soi.
Ewilan ne connaissait pas vraiment les ressources possédées par Blueuenn. Cependant, de son côté, elle n'était jamais en manque. Non pas qu'elle était riche, mais tout simplement suffisamment pingre et économe au quotidien pour se permettre des excès de ce genre quand elle en avait envie. L'avantage d'être sur les routes depuis un bon moment.
- Oui, oui, je suis juste derrière toi ! Évite quand même de courir partout, tu risques de rentrer dans quelqu'un.
Visiblement, elle était excité comme une puce et ça amusait pas mal Ewilan. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'on ne s'ennuyait pas avec elle. Dans tous les cas, les deux femmes arrivèrent à destination, une magnifique table en extérieur, dans un coin entouré de roses avec une très belle vue sur la rue.
- Après vous, mademoiselle.
Tout en parlant, Ewilan se comportait en parfaite gentlewoman, en tirant la chaise de Bleuuenn afin que cette dernière puisse s'installer avant de prendre elle-même place en face d'elle. Mine de rien, toute cette ambiance, ça avait un certain cachet romantique. Ce que Ewilan ne s'empêcha pas de faire remarquer, avec un sourire malicieux.
- L'ambiance est vachement romantique quand même, tu essaies de me séduire ? Héhé...
Bah quoi ? Elle avait bien le droit de la taquiner un peu non ? Du peu qu'elle connaissait d'elle pour l'instant, elle n'avait pas de doute sur le fait que ça allait rendre les joues de Bleuenn aussi rouges que ses cheveux. Ça allait être marrant.
- Alors, raconte Bleuenn. J'ai envie d'en savoir plus sur toi, qu'est-ce que tu peux me dire ?
Ewilan s’accommodait de tout, et cela me convenait parfaitement : elle n’émit pas de réserve sur le restaurant et s’acclimata très bien à l’atmosphère un peu plus guindée qu’un fast-food. J’étais peut-être mauvaise langue, mais je n’aurais pas cru que la jeune femme ait de telles manière. C’était délicat et attentionné de sa part. Il restait que sa tenue de clocharde contrastait nettement avec le cadre, surtout par rapport à la mienne, qui n’avait définitivement rien du caractère confortable et léger que les autres membres du projet portaient…
A peine installées, Ewilan lança la discussion avec humour. Moi, la séduire ? Non, non… Je n’étais pas de ce bord-là. J’étais gênée de lui en avoir envoyé les signaux, si elle y était réceptive. Je sentis mes joues s’empourprer brutalement, diffusant une chaleur familière sur mon visage.
« Je trouvais juste le cadre vraiment beau… et en plus il y a un peu d’air… et on voit le coucher du soleil… »
Niveau pertinence et éloquence, message direct… il allait falloir repasser. Je ne savais absolument plus où me mettre. D’autant plus que je niais si mal qu’Ewilan allait croire l’exact inverse. J’étais si tarte, parfois ! Heureusement pour moi, sentant possiblement ma gêne, Ewilan intervint pour relancer la conversation que j’avais fait s’écrouler dès son départ…
« Alors, raconte Bleuenn. J'ai envie d'en savoir plus sur toi, qu'est-ce que tu peux me dire ? »
« Je ne suis pas lesbienne. »
J’ouvris des yeux de Hoothoot attardé en l’entendant, et encore plus en m’entendant répondre derrière. Etais-je la personne la plus demeurée du monde ? Ce n’était pas ça qu’Ewilan attendait. Elle voulait se renseigner sur… des choses courantes de la vie. Mon âge, la raison de ma venue à Ankora mais pas… mais pas mon orientation sexuelle ! Je l’avais lâchée parce qu’en tant que personne parfaitement idiote, j’avais instinctivement pensé à une suite logique de la conversation, je n’avais pas compris la réaction d’Ewilan comme une tentative de changer de sujet. Si j’avais pu m’enfoncer dans mon siège et y disparaître, je l’aurais fait. Rouge de honte, je fixai la carte du restaurant, faisant mine de choisir. Mon regard était si fixe que c’était impossible de berner qui que ce soit, mais j’étais tétanisée par la bourde que je venais de commettre. Si jamais Ewilan était, elle, lesbienne, je venais peut-être de l’éconduire avec une violence inouïe. Ô Arceus, sauve-moi de cette situation…
Comme attendu, la réaction de Bleuenn ne se fit pas attendre et cette dernière était en train de rougir et perdre absolument tous ses moyens. Ewilan avait l'impression de trouver un nouveau jouet à secouer partout et n'hésitait pas à le faire. En tout cas, ça la faisait bien marrer de la voir comme ça. Bon, ceci dit il ne fallait pas trop abuser et c'est pour ça qu'elle décida de changer le cours de la conversation. Ceci dit...
Pendant une seconde, Ewilan fut estomaquée par la réponse de son interlocutrice. Wow, si elle aimait habituellement les réponses surprenantes, pour le coup là, elle ne savait pas trop quoi en penser, l'espace de quelques secondes. La réponse était venue tellement naturellement, de manière tellement directe et sèche que Ewilan ne savait pas vraiment si elle l'avait fait exprès ou pas. Pas vraiment vu sa réaction ceci dit dit à essayer de se cacher et faire comme si de rien n'était.
La voir s'enfoncer comme ça dans son siège en essayant de se faire toute petite à lire sans conviction la carte avec les repas c'était...
- Bwahahaha, t'es trop drôle Bleuenn. Je t'adore !
C'était la deuxième fois de la journée que Ewilan se tordait de rire suite à une gaffe comme celle que venait de dire Bleuenn. La première, c'était quelques heures auparavant, quand elle avait dit que effectivement, elle avait l'air d'une sacrée clocharde. Elle essayait de ne pas rire trop fort, afin de ne pas déranger les autres clients : ce serait dommage de se faire virer du restaurant. Ainsi, la dresseuse se tenait les cottes en étouffant son rire devant son interlocutrice avant de respirer un grand coup.
- Ne t'en fais pas Bleuenn, je ne le prends pas mal. C'est juste que ta réponse est sortie tellement toute seule et avec un tel manque de tact que n'importe qui serait estomaqué. Mais c'était amusant, ahah.
Heureusement, Ewilan n'était pas le genre de femme à se fâcher toute rouge pour une gaffe de ce genre. Au contraire, ça rendait la Awlyre plus vraie et attendrissante qu'une grande partie des gens qu'elle connaissait et côtoyait. C'est probablement ce qu'elle appréciait chez la femme aux cheveux rouges.
- Et si ça peut te rassurer, c'était juste pour la blague. Même si j'aime effectivement les femmes et que tu es très jolie, c'en est une autre que j'aime, bien que ça ne soit pas réciproque...
Tout en parlant, un sourire triste se dessina sur le visage d'Ewilan, pendant quelques instants. En effet, il n'y avait aucune chance qu'elle vive un amour partagé avec Mei. Et à vrai dire, la plupart du temps, elle essayait de ne pas trop y penser car ça la déprimait et n'aimait donc pas en parler. Ceci dit, si ça pouvait rassurer Bleuenn, qui semblait se faire de drôles d'idées, c'était mieux d'en parler. Autant dissiper le malentendu. En même temps, c'était un peu sa faute, à Ewilan qui n'était pas la personne la plus facile à suivre parfois. Surtout quand on semblait un peu longuet à la détente comme Bleuenn.
Son air triste et un peu mélancolique resta encore quelques secondes sur son visage, elle finit par reprendre quelque peu consistance et tentait de cacher sa déprime passagère, bien que quelqu'un qui faisait attention se rendrait vite compte de la supercherie, avant de préciser sa précédente question.
- Je parlais de choses comme ton âge, tes passions, ce que tu faisais avant, d'où tu viens, ce genre de choses quoi.
A cet instant précis, j’enviais Citrine. Petite et ronde, de quoi disparaître en un instant. Le rire d’Ewilan, déjà plus rassurant qu’une colère, ne m’aidait pas à me sentir soulagée. Au contraire, l’envie de fusionner avec le sol pour disparaître à jamais était toujours là. Son éclat de rire attira l’attention d’un serveur, qui vint à nous jusqu’à ce que d’un signe de tête je lui indique que ce n’était pas encore la peine. C’était Ewilan qui avait l’apparence la moins… la plus… euh… la moins attirante ? Mais c’était peut-être celle qui faisait preuve de la plus grande bienveillance. En quelques mots à peine, elle apaisa mes craintes et s’expliqua. Oui, elle était lesbienne. Oui, elle plaisantait. Oui, son cœur était déjà pris. J’avais donc bien lancé un couteau en plein cœur.
« Désolée… »
Cette fois-ci, je laissai un autre serveur approcher. Plutôt mignon, mais pas trop mon genre, avec ses cheveux longs noués en une queue de cheval. Je lui indiquai l’entrée et le plat que je souhaitais : une salade de betteraves et maïs, pour conserver une touche de couleur, et une omelette « du chef », assurée végétarienne. Une fois qu’Ewilan eut à son tour prit commande, je répondis à sa question. Je pris un petit temps pour m’assurer de ne pas dire de bêtises.
« Bleuenn Awlyre, 29 ans… enfin 30 depuis peu. Célibataire qui n’intéresse aucun homme on se demande pourquoi, peintre incapable de peindre et mauvaise prof. Venue à Ankora parce que pleurer dans sa chambre chez ses parents tous les jours jusqu’à attirer la moitié des Spectres de la région, ce n’était pas une vie décente. »
Ma voix tremblait légèrement malgré le sourire que je lui adressai, et je sentais mes larmes monter, mais mes digues cette fois tinrent bon. Ma vie était pathétique, mais… au moins, elle se résumait vite.
Décidément, Bleuenn souffrait d'un gros manque de confiance en elle à toujours s'excuser pour un oui ou pour un non. Il allait falloir corriger le tir au bout d'un moment, ce n'était pas possible autrement. Ewilan balayait donc les excuses de celle qu'elle considérait déjà comme une amie d'un revers de la main.
- Aucune importance, si je prenais mal ce genre de chose, j'en serais pas rendu ma vieille.
Ewwilan ne s'intéressait pas trop à ce qu'il y avait sur la carte. N'étant pas très difficile, elle commanda tout simplement la même chose que Bleuenn avant de se concentrer de nouveau sur ce quelle disait. Trente ans ? Hé bah, elle ne les faisaient pas, c'était clair. Et pour ce qui était du reste, c'était plus ou moins comme Ewilan le pensait.
- Bah laisse-moi dire que les hommes ont des bons goûts de Grotadmorv. T'es carrément mignonne, surtout avec tes cheveux rouges, ils mettent tes yeux parfaitement en valeur.
Il fallait rester honnête : Ewilan trouvait en effet Bleuenn extrêmement jolie et raffinée. Bien plus qu'elle-même, ne se trouvant pas plus séduisante que ça avec sa dégaine de clocharde, comme l'autre avait confirmé plus tôt dans la journée. Mine de rien, elle savait tacler à la gorge, sans même faire exprès, Bleuenn. Heureusement qu'elle n'était pas du genre à s'énerver pour si peu. Après, elle voyait bien que souvent, son aînée parlait sans filtre.
- Tout le monde progresse à son rythme. L'important c'est d'avancer un pas après l'autre. Si tu es venue jusqu'ici, c'est déjà que tu veux changer pas vrai ? C'est le premier pas, le reste viendra naturellement.
Ewilan lui souriait en parlant, avant de lui servir un verre de vin, de la bouteille qui était sur la table. Il n'était pas coutume pour elle de boire, mais pour une fois elle pourrait bien se laisser aller et profiter. Et puis, ça aiderait peut-être Bleuenn à passer un bon moment, si elle avait l'alcool joyeux.
- Hé puis dis-toi qu'il y a toujours pire. Regarde moi, j'ai vingt-quatre, j'ai fuis du manoir familial car ça me cassait les couilles tout ce qui était noblesse et réception fastueuse. Je suis censé pouvoir revenir chez moi que quand je serais Maître Pokémon. Ça fait plus de dix ans que j'essaie et je me prends branlée sur branlée contre les conseils régionaux. L'important, c'est de garder la motivation et de continuer à avancer.
Ah ça, la défaite et les échecs, elle était très bien placée pour connaître. Douze ans qu'elle s'entraînait et ça ne fonctionnait toujours pas. Il y avait de quoi désespérer. Mais ce qu'elle espérait faire comprendre à Bleuenn, c'est bien que le plus important, c'était de se relever après un échec. Se permettant cependant de caresser légèrement le visage de Bleuenn, afin de virer la petite larmichette qui commençait à venir, elle décida de s'exprimer et donner un avis honnête.
- Tout le monde n'a pas besoin d'être un turbo badass qui enchaîne les victoires et les réussites personnelles. Se chercher et découvrir le monde, c'est aussi important. Et tu as d'autres qualités importantes : tu es sensible et tu ne veux pas blesser les autres autour de toi, tu penses à leur bien-être. Tu es également généreuse avec le cœur sur la main et passionnée : sinon tu ne serais pas devenue professeure. Et même si tu as parfois tendance à perdre tes moyens, notamment en laissant échapper tes paroles, tu restes assez prudente de ce que j'en ai vue. Ce qui te manque surtout, c'est un peu de confiance en toi.
Bon sang, Ewilan commençait à parler, parler. En même temps, elle restait honnête sur ce qu'elle disait, détestant l'hypocrisie. Sirotant son verre de vin, elle prenait un biscuit également. Ils étaient plutôt bon, le goût était similaire à ceux des Lava-Cookies. Plutôt pas mal, Ewilan en tendit donc à son interlocutrice.
- Si tu as des questions n'hésite pas, je répondrais à absolument tout.
Peut-être qu’il fallait que je fasse agrandir ma frange. Je ne pouvais pas encore me cacher derrière elle. Ewilan me noyait sous des compliments que je ne méritais pas et auxquels je trouvais toujours à redire. Un premier pas ? J’avais été inscrite de force par mon père. Je ne voulais pas blesser les gens autour de moi ? Je ne faisais que ça. Les hommes ont des goûts de Grotadmorv ? J’étais surtout complètement à côté de la plaque. Dans la tête et sur le physique.
Je n’étais pas très fière de moi. Juste terriblement embarrassée par cette vague de louanges. Je fixai le verre de vin qu’Ewilan m’avait versé pendant presque toute la durée de son discours. C’était une optique… étonnante. Je n’avais pas touché à une boisson alcoolisée depuis si longtemps… depuis l’Incident. La fête et la liesse n’avaient plus fait partie de ma vie. Alors voir ce liquide translucide dans mon verre, sentir cette odeur douceâtre… C’était une alternative plaisante à la gêne que je ressentais. Alors… alors je remuai mon verre, attendant de pouvoir relever la tête. Ewilan s’était même approchée pour retirer une larme que je n’avais pas senti venir. Quelle horreur. Quelle stupide cruche j’étais.
J’avalai la première gorgée de mon verre. Les arômes sucrés et aigres explosèrent sur mes papilles, me remémorant de bons souvenirs, du temps où l’innocence et la joie de vivre étaient de mise. Je fermai les yeux quelques instants pour savourer cette boisson, puis expirai pour me donner le courage de revenir à la discussion.
« Honnêtement, tu as une trop grande estime de moi. Je n’arrive même pas à garder près de moi mon starter parce qu’il me fait peur. Comment est-ce que tu peux croire que j’ai le cœur sur la main ? J’ai des œufs, mais je ne sais même pas quoi en faire. J’ai été sotte et poussée par la fièvre du shopping à en acheter autant. Je ne serai jamais capable de gérer autant de bébés Pokémons. Je suis totalement irresponsable. »
Je soupirai avant de mâcher quelques feuilles de salades. La vinaigrette était ratée, mais les légumes étaient très frais. Le goût un peu trop acide m’encouragea à mastiquer plus vite et donc à enchaîner.
« Mais parlons plutôt de toi. Ma vie est un puit sans fond de nullité. Plus j’y progresse et moins on peut me trouver d’utilité. Elle ne mérite pas d’être commentée. Tu es trop gentille de vouloir me faire croire le contraire. »
Je soupirai devant la véracité décapante de ce que je venais de dire. Je fis ostensiblement craquer une betterave dans ma bouche pour combler le court silence que ma conclusion avait imposé. Puis je relevai la tête pour croiser le regard d’Ewilan. Cela me fit remarquer que je ne l’avais pas regardée depuis quelques minutes déjà. Je lui fis un sourire triste pour tenter d’embrayer sur ce qu’elle m’avait appris d’elle.
« Tu me disais que ça faisait dix ans que tu te faisais rétamer à chaque fois que tu essayais de vaincre une ligue ? Combien de fois ? »
MAIS MINCE, ZUT, FICHTRE, MERDE ! Il y avait trente-six façons d’aborder le sujet. Et évidemment, pour empêcher Ewilan de revenir à moi, je m’étais précipitée et j’avais sorti la PIRE réplique possible. Prise d’un élan d’accablement, je laissai ma fourchette tomber dans mon assiette et je détournai le regard.
« Désolée, je ne voulais pas… »
POURQUOI ? Pourquoi j’étais incapable d’avoir une discussion normale ? Pour me déprécier, j’y arrivais sans problème, mais pour m’intéresser à la seule personne avec qui je discutais vraiment depuis plusieurs mois, plusieurs années, j’étais la pire gourgandine impotente du monde.
La pauvre Bleuennn ne savait visiblement pas où se mettre avec tous les compliments que lui balançait Ewilan. En même temps, cette dernière restait honnête, faire sa langue de pute et la lèche-botte, ce n'était clairement pas son style. Au moins, elle semblait accepter le verre de vin, tant mieux. Qui sait, ça allait peut-être l'(aider à se décoincer un peu ?
- Parce que je vois que tu as du potentiel. Tu n'arrêtes pas de te dévaloriser et c'est ça ton plus gros problème. Mais j'ai confiance, je sais que tu y arriveras.
Ewilan écoutait donc ce que disait Bleuenn avec une pointe de déception : elle voulait l'aider mais ne savait pas trop comment faire pour le moment. Elle écoutait donc la femme qui se tenait devant elle, demandant plus de précisions sur sa carrière et ses nombreuses défaites. Toujours en s'excusant.
- Ne t'en fais pas, il n'y a aucun problème. J'ai participé aux champions de Johto, d'Hoenn, de Sinnoh, Unys, Kalos, Alola et Galar. Autant dire que ça fait un bon petit moment que je bouge.
Elle ne restait donc jamais vraiment au même endroit et ne côtoyait donc de manière prononcée qu'un nombre restreint de personnes. C'est pour ça que les personnes qu'elle appréciait, elle y tenait vraiment et faisait tout son possible pour les aider. Comme ici, avec la fille avec qui elle partageait un bon repas.
- Et puis, ça fait plusieurs années que je n'ai pas pris part à la compétition de manière sérieuse, donc je suis un peu rouillée.
Entre le Cataclysme et la mort de Sakura, on ne pouvait pas dire qu'elle avait vraiment eu la tête à ça, ces dernières années. Du coup, même si forcément,, ça la touchait et qu'elle manquait de confiance en elle, elle faisait de son mieux pour ne pas trop se laisser à la déprime, même si parfois, c'était dur.
- Donc tu vois ? Chacun à ses faiblesses, c'est normal et tu n'as pas à t'inquiéter de paraître pour une cruche ou autre. Et crois moi que si l'envie prenait à quelqu'un de te descendre et t'humilier, je lui botterais le cul.
Elle était comme ça, Ewilan. Entière. Finalement, l'entrée fit son apparition et elles pouvaient enfin manger autre chose que l'apéritif, tant mieux.
- En tout cas, j'aimerais beaucoup voir tes œuvres d'arts. Tu penses que tu pourrais me les montrer un peu plus tard ?
Ewilan était bien trop gentile avec moi, je ne le méritais vraiment. Plus je m’enfonçais, et plus sa bienveillance se dévoilait. Je n’avais l’impression que d’être une pauvre tâche sur une toile immaculée. Je bus à nouveau à mon verre de vin tandis que la jeune femme citait la liste immense de régions qu’elle avait traversée.
« Tu as voyagé dans toutes ces régions ? Tu as… tu as cinquante-quatre badges ?! Tu les as sur toi ? »
Ceux de Kalos étaient réputés pour être internationalement les plus beaux, mais je ne les avais jamais. Je sentais déjà les effets de l’alcool faire monter une euphorie inappropriée à la situation. Visiblement, je ne tenais plus la boisson aussi bien qu’avant… ou peut-être que j’étais juste un peu fatiguée, à force de me retenir de finir en flaque ?
J’inspectais les pointes aiguisées de ma fourchette. Ewilan n’avait vingt-trois ans, et pourtant elle avait déjà tant accompli. Et moi… ce n’était pas le cas. Elle était vive, elle tenait à des choses dans la vie. Elle avait ce côté véhément qui lui donnait un dynamisme charmant, que je ne savais même pas si j’étais encore capable d’avoir. Elle était adorable d’agir comme ça. Mais si seulement elle s’apercevait que je n’en valais pas la peine… Et sa question me mettait vraiment au pied du mur. Je n’avais pas emmené de tableau avec moi, parce que je les fuyais, et je n’avais pas réussi à reprendre un pinceau en main depuis mon arrivée à Ankora. Je m’étais écroulée avant de réussir à entrer dans l’école de dessin. Je… j’étais vraiment sotte et puérile. Mais mon humeur se brouillait un peu. Alors je lui répondis avec plus d’emphase que je n’aurais dû.
« Je… n’ai pas amené mes peintures… mais euh… je peux essayer de te peindre quelque chose ! »
Je n’arrivais même plus à toucher un pinceau sans repenser à l’incendie et aux visages défigurés de mes élèves. Mais une expression guillerette égayait mon visage. Je finis mon second verre et nous resservis toutes les deux.
« Pour toi seulement. Je n’ai pas réussi à mettre un dessin en couleur depuis des lustres parce que ça me refait toujours replonger dans le pire souvenir de ma vie, donc je n’y touchais plus. »
En tant normal, je me serais giflée. Mais étrangement, dire le fond de ma pensée, et m’engager là-dedans, ça me… ça m’ôtait d’un poids. Je n’aurais pas su le définir. Tout ce dont j’étais sûre, c’est que je me sentais un peu mieux.
Ahah, ça en bouchait un coin de Bleuenn, ce que racontait Ewilan, visiblement ! En même temps, c'était normal : il faut dire que rien que ça, c'était impressionnant. D'ailleurs, souvent les personnes à qui Ewilan racontait ça ne la croyait pas et restaient sceptiques... Ce qui n'avait pas l'air d'être le cas de Bleuenn qui était vraiment surprise, mais ne semblait pas mettre sa parole en doute.
- Oui bien sûr, ils sont dans mon sac ! C'est un peu ma seule fierté, héhé. Je te les montrerais après le repas.
Pas la peine de se presser, les Badges n'allaient pas s'enfuir. Et puis Ewilan n'allait pas débouler tous ses étuis devant tout le monde en plein repas, ça ferait un sacré désordre, à n'en pas douter. Elles pourraient voir ça après. En tout cas, Bleueunn prenait de jolies couleurs : sans doute l'effet de l'alcool.
- Bleuenn...
Elle avait l'air embarrassée par la demande de la Springfield. Visiblement, ça avait l'air d'être quelque chose de compliqué. Sans doute que Ewilan venait de toucher un point sensible. Zut. Écoutant attentivement ce que disait son aînée, Ewilan ne l'interrompait pas. Le pire souvenir de sa vie ? C'était pour ça qu'elle pleurait ? Est-ce que c'était lié au Cataclysme ? Peut-être, le seul moyen de le savoir serait de lui demander. Mais Ewilan n'allait pas le faire. Du moins, pas pour le moment.
- Tu n'as pas besoin de te forcer si c'est trop dur, tu sais.
Tout en parlant, Ewilan prenait lentement la main de Bleuenn dans la sienne, pour lui transmettre sa chaleur corporelle et la rassurer, tandis qu'elle lui faisait un sourire réconfortant. Clairement, ça avait l'air d'être quelque chose de tabout, pour elle. Et si Ewilan avait beau être la plupart du temps une bourinne qui mettait la réflexion au second plan, ce n'était pas le cas pour ce genre de sujets.
- Ça me touche beaucoup que tu me dises ça, tu sais. Mais même si ça me ferait très plaisir, j'attendrais que tu sois prêtes à le faire, je ne vais pas te forcer la main si c'est trop dur. D'accord ? On est pas pressés, après tout.
Elle faisait passer le bien-être de la femme aux cheveux rouges avant son petit plaisir personnel. Ce qui était normal après tout. Le consentement, c'était quelque chose d'important pour entretenir une relation saine ! Dans tous les cas, elle la regardait toujours dans les yeux pour la réconforter et lui faire comprendre qu'elle était là pour elle, toujours avec sa main au-dessus de la sienne.
- Alors, il y a d'autres sujets que tu veux aborder pour le moment ? Visiblement ils prennent leur temps pour faire venir le plat principal.
Ewilan était bien trop tolérante avec moi. Elle avait posé sa main sur la mienne en un geste de réconfort et de compassion. Je ne méritais pas tant de bienveillance. Et faute de pouvoir noyer mon attention et mon embarras dans la nourriture, qui tardait à venir, je devais bien répondre à ce qu’elle me disait. Un peu embrumée par les saveurs du vin et ce qu’il contenait, je ne pris pas le temps de réfléchir… Encore moins que d’habitude, plus tôt.
« On pourra faire ça quand tu veux. Mon image est déjà massacrée, je n’ai plus aucun meuble à sauver avec toi. Mon vrai moi n’a pas l’air de te faire fuir, contrairement aux autres, alors peut-être qu’entendre davantage de grouinements hystériques ne te dégoûtera pas plus. »
J’eus un rire niais et débile, mais léger et bienfaisant. Je n’avais plus aucune raison de maintenir les apparences. La jeune femme distinguée et élégante avait disparu au profit d’une grognasse insipide. Je ne valais pas mieux que ça. Et c’est peut-être ce qui attira nos plats : peut-être que le restaurant voulait déjà se débarrasser de moi. On nous servit donc nos omelettes. Elles avaient une étrange couleur rouge. Quels œufs avaient bien pu être utilisés ? Ou quel assaisonnement ? Je ne m’en souvenais plus.
« Dis Ewilan… c’est possible de faire cuire un œuf de Pokémon Feu ? »
Sans vraiment y prendre garde, j'avais retiré ma main de celle d'Ewilan. J’avais planté mes yeux rougis et gonflés dans les siens. Autant être totalement naturelle et ne plus tenter de se cacher, j’étais beaucoup trop mauvaise à ce jeu.
Bon, visiblement Bleuenn n'essayait plus de faire semblant avec elle, plus de faux-semblant ni d'assurance factice. C'était... Pour le mieux, sans aucun doute. Ewilan appréciait beaucoup plus quand les personnes autour d'elle étaient vraies. Elle qui aimait l'honnêteté, ça lui faisait très plaisir.
- Dégoûter ?
Ewilan était perplexe quant à la remarque de Bleuenn. Ceci dit, elle n'avait pas eu le temps de rebondir là-dessus que déjà les plats arrivèrent. Des omelettes ! C'était trop bon les omelettes et à vrai dire, Ewilan avait hâte de dévorer la sienne. Mais il fallait se tenir un peu, bon sang. Par contre, la remarque de sa camarade la fit rire.
- C'est une très bonne question, ma foi ! Et je te remercie de l'avoir posé. Mais pour le coup, je n'en sais rien, il faudrait tester à l'occasion !
Est-ce qu'elle était sérieuse ? À moitié. Si Bleuenn était vraiment partante pour l'expérience, alors elle l'aiderait avec plaisir ! Après tout, ils mangeait déjà des omelettes d'œufs de Pokémons ou des steaks de Tauros, ça faisait partie de la culture de base. Restait à voir si ça fonctionnerait. Voilà bien quelque chose auquel elle n'aurait pas penser elle-même.
- Ceci dit, pour en revenir à tout à l'heure, sache que tu ne m'as jamais dégoûtée. Et je doute que ça arrive un jour, alors haut les cœurs, d'accord !
Ewilan faisait de tout son possible pour essayer de lui remonter le moral et lui faire comprendre qu'elle ne la jugeait pas. Elle aimait beaucoup la Awlyre et ça la rendait un peu triste qu'elle soit dans cet état : elle trouverait bien un moyen de lui redonner le sourire. Dans tous les cas, sa franchise actuelle lui plaisait bien.
- Bon, on devrait en profiter pour manger, maintenant, bon appétit !
Par contre, ça allait être compliqué de manger avec une seule main. Alors la Springfield la main de Bleueunn lui échapper, probablement car elle pensait la même chose sur la praticité de la chose. Au moins, ça n'avait pas été un geste sec et agressif. Tant mieux dans un sens. Commençant à manger, Ewilan enchaîna sur la suite de la conversation, tout en buvant une gorgée de vin : c'était déjà son quatrième verre.
- C'est vachement bon en tout cas, tu sais bien choisir les restaurants. Moi, c'est à peine si je sais faire un ragoût pour pas crever de faim en pleine forêt. Et toi ? Tu sais cuisiner ?
J’aurais voulu continuer à me sentir de plus en plus mal en comparaison avec la bonté d’Ewilan, mais… elle avait raison de moi. Je parvenais à refourguer mon mal-être en arrière-plan pour me focaliser sur l’instant présent. J’essayais d’occulter ses paroles encourageantes qui me rappelaient que j’avais déjà fauté plus d’une fois depuis qu’on s’était installé ici. Un rire de greluche m’échappa.
« Ton cœur est bien accroché, pour me supporter ! Tu n’as pas de haut-le-cœur ! »
Cette blague était affreusement mauvaise mais c’était la seule chose qui lui était venue sur le moment. Elle n’arrivait plus à garder la honte et la gêne qui me maintenait à peu près en bonne posture, toutes mes idées noires traversaient mon esprit sans s’y arrêter. Je n’arrivais plus à y penser. Et ce n’était pas plus mal. Je n’avais pas l’impression de ne plus avoir de poids sur mes épaules, mais au moins, je n’étais plus parasitée par les mauvais souvenirs et mes angoisses.
D’une main, je repris mon verre de vin pour en avaler une nouvelle lampée. J’avais l’impression que je n’avais rien bu… ou qu’il se remplissait tout seul… c’était un peu flou, et je ne m’attardai pas vraiment à comprendre ce phénomène.
« Bon appétit ! »
Les couverts étaient frais entre mes mains, me faisant remarquer que je commençais à avoir chaud. Je n’avais pas remarqué avant les lampes à chaleur que le restaurant avait installées dès que le soleil avait disparu à l’horizon.
« Je ne sais pas si ce que je cuisine a bon goût, mais c’est toujours joli ! J’aime bien marier les couleurs. Je peux te montrer au moins ça, tu ne cuisineras pas moins mal, mais au moins ça fera plaisir à tes yeux ! Tu penses qu’on peut acheter ces œufs en magasin ? On pourrait faire ça après le restaurant, ça te dirait ? »
En revanche, la nourriture dans son assiette, elle, avait bon goût. Parmi les rares manières que je conservais malgré mon état de moins en moins… civilisé, celle de manger délicatement restait par chance. J’étais toutefois souvent obligée de ralentir le rythme parce que je riais stupidement à peu près tout et n’importe quoi.
Visiblement, la mauvaise humeur de Bleuenn venait de s’envoler. Enfin, les efforts d’Ewilan depuis le début de la journée pour que cette dernière arrête de tirer la gueule portaient enfin leurs fruits et la dresseuse confirmée en était très contente ! D’ailleurs, le jeu de mot de la Awlyre lui tira un petit pouffement de rire. Elle qui était adepte des blagues débiles et des mots d’esprits comme celui-là, elle était servie avec Bleuenn.
- T’en fais pas pour ça, va ! Et au pire, toutes ces blagues lui font faire du sport, le rire c’est bon pour la santé !
Enfin elles pouvaient manger, après avoir ingurgiter tout de même plusieurs verres d’alcools qui avaient rougies leurs joues respectives. Autant dire que d’un point de vue extérieur, ce n’était pas très beau à voir. Enfin, Ewilan elle, se fichait bien du regard des autres… Jusqu’à une certaine limite. Tant que ça ne concernait qu’elle, ça allait, mais il ne fallait pas que l’on importune les autres. Dans tous les cas, le repas était plutôt bon pour le moment, elle devait bien l’avouer. Et la proposition de son amie était fort séduisante.
- Oh oui, avec plaisir. J’ai que quelques bases en cuisines, alors si ça peut rendre les plats plus jolis, j’ai hâte qu’on puisse voir ça !
Quant à la suite de sa proposition. Hum, elle était plutôt intéressante, à vrai dire.
- Oui, par contre, il faudra se dépêcher de trouver un endroit pour cuisiner ! Peut-être qu’une chambre d’hôtel pourrait faire l’affaire ? Je vois mal un cuistot nous prêter sa cuisine et souvent, les chambres en ont des intégrées.
Est-ce qu’il s’agissait d’une proposition tendancieuse ? Pas vraiment, non. Après tout, même si ça avait été en réponse à une blague, Bleuenn avait mis les choses au clair très rapidement et imposer directement des limites. C’était donc en tout bien tout honneur que la jeune femme venant de Frimapic venait de faire cette proposition. Il n’y avait plus qu’à voir si cette dernière accepterait. Dans tous les cas, Ewilan était en train de s’empiffrer avec sa nourriture, suffoquant à moitié avant de se reprendre un verre. Décidément, elle n’avait aucune tenue, aucune grâce, quand elle était à son aise avec quelqu’un qu’elle appréciait.
- Je sais ! Pour te remercier des cours de cuisine, moi aussi je vais t’offrir un cadeau, ahah ! Je sais déjà quoi. Mais t’as pas le droit de le savoir pour l’instant, ça serait pas du jeu.
Un cadeau ? Oh, elle savait très bien ce que ça serait. Mais décider ça comme ça, sans laisser le choix à sa nouvelle amie d’accepter ou non, c’était un peu cavalier de sa part. Encore plus que d’habitude. Peut-être qu’elle commençait à avoir un verre de trop dans le nez.
Ewilan semblait aussi facile à faire rire qu’elle était bienveillante avec moi. Merci Arceus d’avoir mis une personne si positive sur mon chemin. Son euphorie encourageait la mienne, si bien que je me retrouvais forcée à réduire mes éclats de voix pour ne pas incommoder les gens qui m’entouraient.
« Sinon, on peut tenter le réfectoire du Camp de Base… Si on est discrète, on devrait avoir tout ce qu’on veut ! »
Je gloussai une fois de plus comme une pintade devant son coq charmant. J’étais ridicule, mais ne rien en avoir à faire était une libération dont je me délectais, malgré mon état… second. J’amenai une nouvelle fois mon verre à la bouche, puis l’agitai de manière malhabile.
« Oui, je crois qu’on peut oublier la discrétion ! »
Je m’esclaffai une nouvelle fois. J’avalai ensuite la dernière bouchée de mon omelette. Le repas avait été délicieux, ce qui me rendait un peu déçue de ne pas m’être concentrée sur ses saveurs, mais j’avais gagné quelque chose de plus important. Ewilan, devant moi, les joues rosies par la chaleur des lampes et du vin, se prêtait aux mêmes facéties que moi. Comme une amie. J’avais envie de la serrer dans mes bras pour la remercier. Pour la remercier d’exister et d’être là, avec moi. Depuis combien de temps étais-je restée loin d’amis ?
« Moi aussi, j’ai peut-être quelque chose pour toi ! Et tu as le droit de savoir ce que c’est : c’est un œuf de Teddiursa, je crois bien. Ça fait un grand méchant Ursaring pour tes combats. Tu es intéressée ? »
Maladroitement, les mains légèrement tremblantes, je pris un œuf parmi les trois de mon sac. Il était facilement reconnaissable, avec son croissant de lune jaune. Puis je le posai sur la table avant d’adresser un sourire incertain à Ewilan.
- Bof, je trouve ça moins rigolo le Camp de Base. En plus, il va falloir marcher un moment alors que là, y'a plein d'endroits où on peut être tranquille.
Est-ce que Ewilan se sentait en assez bonne forme pour retourner au camp actuellement ? Pas vraiment non. Mais elle ne l'admettrait probablement pas, préférant donc jouer sur cette carte-là pour tenter de raviser Bleuenn sur son idée. Cependant, si elle insistait vraiment alors tant pis, elles auraient pas mal de marche à faire pour y arriver, mais bon, elle pouvait tout de même faire l'effort.
Le repas se passait donc dans la joie et la bonne humeur tandis que les deux s'esclaffaient de rire. Visiblement, l''alcool montait pas mal à la tête et Ewilan ne sentait plus trop le goût de son omelette. Tant pis. Ceci dit, alors que Ewilan s'apprêtais à partir, voilà que Bleuenn avait elle-même un cadeau, qu'elle maniait avec précaution de ses mains tremblotantes avant de le poser sur la table...
- Pfouah, t'es la meilleure Bleuenn, je t'adore, épouse-moi !
Est-ce qu'elle était sérieuse ? Pas vraiment... Enfin, avec tout cet alcool, peut-être qu'elle aurait dit oui à un quelconque prêtre de passage. Heureusement, ça n'était pas le cas et c'était donc d'un pas peu assuré et la vue un peu brouillonne que la demoiselle arriva près de sa nouvelle amie en la serrant dans ses bras, sans lui laisser la possibilité de protester. Frottant affectueusement sa joue rosie contre celle de la Awlyre, Ewilan continuait.
- C'est trop mignon Teddiursa ! Et Ursaring est pile le genre de Pokémon que j'affectionne, un gros bourrin qui casse tout sur son passage et qui est solide sur ses appuis ! Tu verras, je vais en faire le plus puissant des Ursaring !
Ce qui était clair, c'était qu'Ewilan ajouterait directement Ursaring à son équipe principale dès qu'elle le pourrait. Elle se voyait déjà défourailler du Champion d'Arène avec son puissant ours de combat. Héhé, ça allait être tellement satisfaisant. Ceci dit, ce cirque leur causait donc le regard malveillant de plusieurs autres clients que Ewilan envoyait chier d'un doigt d'honneur tandis qu'elle câlinait son amie.
Ceci dit, s'éclipser serait peut-être une bonne idée. Ainsi, après avoir payer les frais pour le repas, Ewilan mit l'œuf de Teddiursa dans son sac avant de prendre par la main la pauvre Bleuenn, sortant cette dernière de force du restaurant afin de la traîner autre part.