J’étais ravi de retrouver Ambroise pour participer à la Foire d’hiver. Nous ne nous étions pas vus depuis longtemps, et je comptais bien faire au moins une activité avec lui pendant ces événements malgré nos emplois du temps respectifs chargés.
« En tant que Topdresseur, tu dois souvent partir t’entraîner, non ? Tu as déjà pensé à des combats d’arène ? »
Nous discutions dans les rues de Bourg-Asque à la recherche d’un stand où nous amuser lorsque j’aperçus quelque chose d’étrange : un couple émergeait d’une bouche d’égout en poussant des exclamations de joie et en agitant une liasse de tickets conséquentes. Y avait-il un stand là-dessous ?
« Ambroise, tu penses que… »
Je lui pointai la source de mon intérêt, puis m’en approchai. Cela semblait allumé. Peut-être qu’il y avait bel et bien une animation ! Alven grimaça en sentant probablement les effluves qui en provenait. L’emplacement était… particulier.
« On va y faire un tour ? Je ne suis jamais allé dans les égouts d’une ville, et avant cet hiver je n’étais jamais allé à Bourg-Asque. Je peux dire que maintenant je connais la ville de fond en comble ahah ! »
J’attendais son approbation. Le lieu n’était peut-être pas le meilleur endroit pour des retrouvailles, d’autant plus que nos rencontres se faisaient presque exclusivement dans des endroits vaseux et humides… Brrr… les Cradopauds resteraient longtemps dans ma mémoire.
Cela faisait un bon moment qu’Ambroise et Valor ne s’étaient pas revus, au moins quelques semaines depuis la fin du mois de Novembre approximativement. À l’occasion des festivités hivernales, les deux jeunes hommes ont convenu de passer un moment social dans un cadre convivial ! Les nouvelles responsabilités du second impliquaient, souvent, des déplacements prolongés dans la région des Givralpages, tandis que le premier accomplissait des missions assez diversifiées, incluant notamment des allez-et-venues aux Calanques Australes.
Comme à son habitude, le natif de Sinnoh aborde énergiquement la conversation, et va droit au but.
« Oh, oui. En ce moment, figure-toi, j’essaie de mettre au travail Artémise, mais rien n’y fait. Ses progrès sont lents et relativement dérisoires. J’ai cru comprendre qu’un laboratoire consacré aux pokémons télépathiques a été ouvert il y a quelques semaines. Peut-être devrais-je m’y pencher. Toi aussi, en passant, et si cela t’intéresserait d’explorer cette facette de ta relation avec Alven. »
Un élément survenu dans son champ de vision retint l’attention d’Ambroise. Si sa vue ne lui prêtait pas défaut, un couple sortait d’une bouche d’égout, tout en proie à une gaieté spectaculaire, agitant au bout de leurs doigts une profusion de tickets pour la Foire d’Hiver. Attendez, cela lui rappelait une certaine mission dans une certaine section du cloaque de Bourg-Asque avec un certain Hiroki Hara durant laquelle il remarqua, à l’observation d’un certain fatras de déchets jonchant une allée sordide, qu’un certain groupe de personnes se réunissait pour consommer de l’alcool. Instinctivement, le Topdresseur eût un réflexe de recul.
Néanmoins, il entendit vaguement parler qu’un stand se tenait en-dessous de leurs pieds, sous les remugles de ces égouts suffocants.
« On ne manquera jamais une occasion de se salir, n’est-ce pas ? » demanda Ambroise qui approuva de facto la proposition de son ami, en s’y dirigeant.
J’étais plutôt étonné qu’Ambroise décide de faire travailler Artémise. Elle avait l’air d’être du genre pourrie gâtée, et son Dresseur semblait lui apporter beaucoup d’attention en lui évitant tout effort. Son sac était son carrosse, et les multiples sucreries qu’elle ingurgitait aurait très bien pu la rendre obèse. D’ailleurs, elle l’était peut-être, d’où la volonté d’Ambroise de la faire s’activer un peu. Et je n'avais pas la moindre idée de ce qu'il entendait concernant Alven.
Quoi qu’il en fût, avec une grimace amusée suite à sa blague, je m’enfonçais dans les égouts. L’odeur nauséabonde était attendue, mais le stand qui nous attendait en bas de l’échelle beaucoup moins. Un homme à l’allure de méchant colporteur dans les films pour enfant nous accueillit avec une main dans son manteau, sans doute prêt à l’ouvrir pour nous proposer quelques marchandises illégales. Je ris nerveusement en le voyant agir ainsi : était-ce un vrai stand organisé par les Rangers, et donc une mise en scène, ou bien était-ce… autre chose ?
« Très cher clients, voulez-vous participer ? Je vous propose de miser quelques tickets. La roue de la fortune nous dira ce qu’il en adviendra. »
Je n’avais pas gagné beaucoup de tickets, mais je ne savais pas vraiment quoi en faire. Alors je n’avais pas grand-chose à perdre. Je jetais un coup d’œil à Ambroise, puis acceptai.
« Je… vais tenter avec quatre tickets. »
Je sortis les précieux morceaux de papier et les remis à l’individu louche. Je m’amusai presque de la situation, à jouer ainsi le pigeon. Mais c’étaient les fêtes, après tout. Autant poursuivre dans le doux climat de confiance !
Par le passé, on enseigna au jeune Ambroise les méfaits des jeux des hasards, puisque ces derniers imprimaient dans l’esprit de ses participants la conviction qu’ils ne forgeaient pas leur destinée à la seule force de leurs actions : l’inquiétant accoutrement de cet obscur gérant de ce stand corroborait d’ailleurs cette idée. Initialement désapprobateur, il dut néanmoins réviser ses positions en observant la confiance inébranlable de son ami, qui n’hésitait nullement à miser une certaine somme de tickets de la foire hivernale. À bien y réfléchir, ce n’était pas vraiment étonnant de sa part, à présent. Depuis sa récente embauche en tant qu’explorateur, Valor semblait affectionner les prises de risques et, par là-même, les gains faramineux qu’elles octroyaient. Face à ce courage, Ambroise ne pouvait rester les bras croisés et refuser d’emboîter le même pas que son camarade pendant que d’autres faisaient de même. Quelle image renverrait-il ? Celui d’un pingre qui s’amourachait de ses sous ? Non, il n’en était pas question.
Au regard des circonstances, il serait terriblement malvenue de faire acte de modération, insinuer par là-même que Valor commettait une erreur et de briser chez lui l’esprit festif qui régnait dans les environs. Le rapide coup d’œil que lui jeta le natif de Sinnoh indiquait que ce dernier semblait s’assurer de son approbation. L’Unysien hocha la tête, yeux plissés. Lui aussi, il avait gagné quelques tickets récemment. De sa poche droite, il les extirpa d'un mouvement leste.
« Moi aussi, je te rejoins. Nous serons deux à nous réjouir de nos gains, deux à rire de notre naiveté, Valor, répondit Ambroise en affichant un certain optimisme de manière à s’harmoniser avec l’atmosphère ambiante. Que dit-on, déjà ? Il fallait voir le verre non pas à moitié vide, mais à moitié plein. Dans le pire des cas, les deux amis feront certainement contre mauvaise fortune bon cœur en se gaussant de leur hypothétique échec. Je mise quatre tickets, monsieur. »
L’étrange individu s’empara de mes tickets d’un geste vif, indiquant comme un « Aucun remboursement possible » qui n’inspirait pas confiance. Il fit de même avec Ambroise, à qui j’adressai un coup de coude.
« Allez, on croise les doigts pour être plus chanceux que… le reste du temps ! »
Je ne parvenais toujours pas à deviner s’il s’agissait d’un comédien ou bien d’un vrai type louche profitant de la Foire. Mais sa roue semblait équitable, alors aucune raison de douter de son honnêteté.
« Préparez-vous, jeunes clients, je tourne ! »
Il donna un grand coup dans la roue pour la mettre en mouvement. De petites loupiotes s’allumèrent sur ses bords, jusqu’à ralentir, et ralentir, et… Mise doublée !
« La chance vous sourit, jeune homme. Voilà votre gain. »
Pas de doute, il était honnête. J’étais très surpris, mais aussi ravi d’avoir tiré ce résultat ! Je ne savais toujours pas quoi faire de mes tickets, mais je finirai bien par trouver, quitte à en offrir certains. Ambroise n’eut pas la même veine que moi. Je posai une main sur son épaule et lui souris.
« Tu veux retenter ? Désolé pour toi… »
Puis dans mon champ de vision, un Rattatac apparut et sembla menaçant envers Ambroise qui n’était pas trop loin. Sans faire aucun geste brusque, je lui indiquai du doigt le danger. Soit nous rentrions en vitesse, soit il se rapprochait de l’autre côté du stand, mais il ne pouvait pas rester là.